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Loin d'être si "écolo", les LED sont un fléau pour la biodiversité

Le 28 mars 2018, le Conseil d'État a condamné le gouvernement pour son absence d'action concernant la pollution lumineuse. Les associations dénoncent les conséquences sur l'écosystème de la multiplication des LED.

Une chaude nuit d’été. Vous profitez du ciel étoilé, tranquille, pour dîner en terrasse. Quand soudain : une armée de moucherons et de papillons virevoltent autour de votre lampe LED dernier cri, et tombent dans votre salade de riz. Une situation un peu pénible mais a priori anodine.  Sauf qu’elle pourrait s’avérer dramatique pour la biodiversité.

Quel est le problème avec les lampes LED ? Elles sont pourtant très vantées pour leurs mérites écologiques. Moins gourmandes en énergie, peu coûteuses, elles sont de plus en plus utilisées par les particuliers, mais aussi par les pouvoirs publics. Ces éclairages produisent en réalité une lumière très blanche qui propage des longueurs d’onde bleues auxquelles réagissent certaines espèces.

“Le spectre d’émission des LED est encore plus nocif que les lampes classiques”, explique Jean Philippe Siblet, Directeur de l'Unité mixte de service Patrimoine naturel du Muséum national d’histoire naturelle. “Ces lampes représentent un vrai danger pour les animaux qui y sont sensibles”.

La lumière est un élément essentiel de la vie sauvage. Grâce à elle, des dizaines d’espèces réussissent à s’orienter. Normalement, ce sont le ciel et ses astres qui jouent cette fonction. Mais lorsque certaines longueurs d’onde sont trop intenses, elles font concurrence à la lumière naturelle, désorientant les insectes. Ils n’arrivent plus à se repérer, et finissent inévitablement par tourner autour de la source de lumière, jusqu’à l’épuisement.

En 2014, une étude néo-zélandaise indiquait que les pièges lumineux à LED capturaient 48 % d’insectes en plus que les pièges équipés de lampes à sodium classiques. Ces résultats alarmants ne freinent pas le déploiement de la technologie. La ville de Chartres a annoncé le mois dernier qu’elle comptait convertir l’ensemble de son système d’éclairage public d’ici trois ans, pour réaliser des économies d’énergie.

Dans un communiqué concernant l’usage des LED, l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (ANPCEN) dénonce une méconnaissance du sujet : “Chaque jour, nous recevons des témoignages d’élus très mal informés. La confusion entre une politique d’efficacité énergétique et une politique réduisant les nuisances lumineuses est complète”.

 

Un dérèglement de tout l’écosystème



La diminution de la population d’insecte du fait de la pollution lumineuse perturbent toute la chaîne alimentaire. “Il faut bien comprendre que la quantité d’insecte qui disparaît à cause de l’éclairage est astronomique”, renchérit Jean-Philippe Siblet, “cela engendre une diminution des ressources alimentaires pour les prédateurs”.

Cette menace s’ajoute à une longue liste déjà existante de perturbations de l’écosystème. Les oiseaux, dont une étude récente montre que la population dans nos campagnes a diminué d’un tiers en à peine quinze ans, pourraient être affectés directement.

Les insectes pollinisateurs sont aussi menacés. Ces fameux “papillons de nuit” qui viennent se fixer sur les lampadaires jusqu’à l’aube. Avec là encore, un effet cumulatif : les néonicotinoïdes utilisés dans les pesticides menacent déjà la survie de ces espèces indispensable à la reproduction du vivant.

Inédite dans l’histoire de l’humanité, cette quantité de lumière a des conséquences sur l’ensemble des espèces. Batraciens, mammifères et même poissons sont affectés. Des rougegorges se retrouvent à chanter toute la nuit; des tortues désorientées partent dans la mauvaise direction après avoir pondu; des rongeurs finissent bloqués par des murs de lumière qu’ils n’osent pas traverser… Un désordre généralisé, encore trop souvent ignoré.

“Les conséquences de l’éclairage sur la biodiversité ont été mis en évidence relativement récemment. Pendant longtemps, on s’est concentré sur le coût énergétique ou les problèmes liés à l’observation des étoiles”, analyse Jean-Philippe Siblet, avant de conclure : “Il faut une vraie prise en compte de ces enjeux, la législation sur la pollution lumineuse ne propose rien en ce qui concerne la biodiversité”.

 

L’effet rebond



Outre les problèmes de longueur d’onde, c’est le faible coût économique des LED qui est pointé du doigt par les experts. “Comme les LED sont pratiques, on assiste à une véritable prolifération, jusqu’à l’excès… On en met partout, parfois juste pour décorer”, déplore Jean-Philippe Siblet.  

En novembre dernier, l’ANPCEN s’appuyait sur une étude publiée par Science Advances pour dénoncer la multiplication de ces éclairages. Selon les chercheurs, la technologie LED est à l’origine de ce que les économistes appellent un “effet rebond” : les économies d’énergie que devaient permettre les LED, moins énergivores, sont annulées par une utilisation plus intensive. On consommerait in fine autant voire plus d’énergie.

Selon Romain Sordello, écologue et fondateur du site Nuit France qui recense la littérature scientifique sur le sujet, l’avancée de la technique est difficile à suivre pour les pouvoirs publics. “L’éclairage est un secteur qui évolue très vite, la science a du mal à suivre quand il s’agit d’évaluer les conséquences de chaque innovation… C’est typiquement le cas avec les LED”.

 


L’État condamné


L’usage croissant des LED pose le problème plus global de la multiplication des sources lumineuses. La quantité de lumière émise a cru de 94% depuis les années 90 en France, pour le seul éclairage public, selon l’ANPCEN. Le nombre de points lumineux d’éclairage public a lui augmenté de 89%.

Face à ce foisonnement, la loi Grenelle II de 2009 a intégré un chapitre sur la “prévention des nuisances lumineuses”. Mais hormis un arrêté de 2013 sur l’éclairage des bâtiments non résidentiels, la loi n’a pas été suivie de décrets d’application. Le 28 mars 2018, le Conseil d’État a donc condamné le gouvernement.

Les juges ont exigé que celui-ci promulgue les arrêtés nécessaires à l’application de la loi sur la pollution lumineuse. Le ministère de l’environnement a neuf mois pour corriger le tir, sous astreinte de 500€ par jour de retard.

Plusieurs solutions envisagées

 

Les spécialistes étudient plusieurs pistes pour diminuer la quantité de lumière. L’une des solutions fréquemment envisagée est la généralisation de lampadaires “intelligents”, qui se déclenchent seulement lors qu’une personne se trouve en dessous. Ou bien le développement de LED qui utilisent des longueurs d’onde moins nocives.

“Je suis assez confiant”, détaille Romain Sordello, “La recherche a déjà fait des progrès et on peut imaginer que ça aille mieux dans quelques années, avec par exemple l’utilisation de lumières plus chaudes”. Reste à surmonter un défi de taille : les éclairages qui font l’impasse sur les longueurs d’onde bleues sont plus gourmands en énergie.

Pour beaucoup, le problème est donc avant tout culturel. Est-il vraiment utile d’éclairer toute la nuit, les rues de nos villages ? C’est la question que pose ceux qui défendent le principe d’une nuit sans lumière. Réfléchissez-y, la prochaine fois qu’une bestiole plongera dans votre salade.


 

 

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