A compléter

Libérer les maux de la société: une assistante sociale réinvente son travail.

Après dix ans de carrière, Aurélie Bonnin aspirait à faire son métier d'assistante sociale autrement. Les contraintes institutionnelles propres aux services publics ont motivé son départ en solitaire. À son compte, mais toujours au service de l'intérêt général, elle a réinventé son métier avec son téléphone, son ordinateur, et un site qu'elle dirige depuis Montpellier.

Libérer le travail

«L'écriture est un véritable exuctoire de maux sociaux»

Aurélie s’est mise à son compte pour «casser la logique institutionnelle du travail social» qui cloisonnait ses missions. Lorsqu’elle était employée dans un hôpital, elle devait se contenter d’accompagner les démarches de santé là où, souvent, les besoins des patients dépassent largement le cadre médical. Elle n’avait pas le droit de signer les enveloppes donnant accès aux autres services sociaux dont les patients avaient besoin (aide à domicile par exemple) —imaginez un médecin qui fournirait un diagnostic sans pouvoir vous signer une ordonnance à la fin de la consultation! Verdict: «on est limité par les missions de notre organisme». 
Aujourd’hui spécialisée dans le public des personnes isolées ou âgées, elle est à l’écoute de chacun de leurs problèmes. Et parle aussi bien de burn out professionnel que d’héritage familial, de dépendance, de sexualité ou de cancer.

Sur son site, Aurélie propose aussi d’aider des personnes à coucher sur papier le roman de leur vie, une lettre, un poème ou même un simple CV. Elle a découvert que l'écriture était un véritable exuctoire de maux sociaux. En ce moment, elle manie la plume pour une dame âgée qui souhaite publier sa biographie romancée. Aidée d'Aurélie, elle se libére de secrets enfouis et, le temps d’un échange téléphonique, s'imagine une autre vie pour rompre l’isolement dans lequel son corps l’a plongée. Complémentaire, sa nouvelle mission d’écrivain public lui permet d’enrichir l’aide juridique et psychologique qu’elle apporte en tant qu’assistante sociale.

Libérer les tabous

«La consultation à distance permet de débloquer certains freins»

Contrairement à la norme, Aurélie a choisi de ne pas aller à la rencontre de ses usagers. La consultation à distance est un moyen de libérer la parole de certains. Derrière son écran, Aurélie, alias La plume sociale, est à l’écoute des français qui n’osent pas se tourner vers un psychologue ou un travailleur social rattaché à une structure publique —où l’entretien en face à face reste un passage obligé. 

Si bien qu’avec le recul, son nouveau métier lui permet de mettre à jour certains besoins de la société, souvent tabous, et encore peu institutionnalisés. Depuis le début de son activité, elle reçoit régulièrement des coups de fils de jeunes actifs qui souhaitent reprendre l’écriture de leur journal intime, sans savoir par où commencer. «Beaucoup culpabilisent de subir une pression professionnelle accablante” découvre la jeune femme.

«J’ai aussi des couples qui me contactent pour parler vieillissement et baisse de libido», explique-t-elle. La génération du baby boom arrive à la retraite, avec de nouveaux questionnements, et la jeune femme est aux premières loges de cette évolution. Elle suivra bientôt trois jours de formation sur la sexualité des personnes âgées. «Mon métier, désormais, c’est d’être à la pointe sur tous ces nouveaux sujets».

Finis les entretiens à la chaîne chronométrés, elle a décidé de prendre le temps de comprendre la situation de chacun. Place aux échanges téléphoniques, d’une heure minimum, à renouveler si elle en sent le besoin. Lorsqu’il est «nécessaire de se déplacer pour se rendre compte d’une situation», elle redirige l’usager vers les services adaptés proposés sur son territoire. Devenue conseillère d’orientation tout-terrain, Aurélie tient à jour «une cartographie des acteurs sociaux en France»


Libérer les prix

«Rendre les usagers acteurs de leurs propres choix»

L’introduction du facteur financier dans la relation d’aide est une nouveauté dans le secteur social. Aurélie est allée plus loin dans la démarche: elle laisse ses bénéficiaires choisir le montant de ses prestations. La pratique existe déjà chez les commerçants; c’est une première pour son corps de métier!

Le pari n’est pas simplement financier. Les prix libres seraient-ils une solution pour offrir des services sociaux de qualité aux personnes précaires? Chaque mois, Aurélie compte sur les plus généreux pour compenser ceux qui ne peuvent pas la rémunérer, ou peu. «Les gens s’excusent, honteux» remarque-t-elle, «je sais qu’ils veulent payer plus même quand c’est au dessus de leurs moyens.» Après avoir tissé un lien, fait des confidences, difficile de brader une prestation sociale comme on réglerait la note d’un restaurant. Ainsi, ne risque-t-elle pas de dévaloriser l’estime des usagers qui ne peuvent pas la régler à la hauteur de leur satisfaction?

«Je ne crois pas», répond Aurélie, «car le paiement libre est aussi un moyen de rendre mes usagers acteurs de leurs propres choix». À cet égard, elle refuse d’indiquer une fourchette de prix génériques pour ne pas influencer les personnes en situation précaire: «Regardez quand vous payez une femme de ménage ou un médecin, ça vous donne une idée!», conseille-t-elle. Le leitmotiv de son nouveau métier: «accompagner les choix, plus qu’assister» la personne dans des démarches toutes tracées.  


Aurélie Bonnin n’est pas la seule à remettre en cause la "bureaucratisation" et le manque d'autonomie dans le secteur social. Elle fait partie de ces nouveaux travailleurs sociaux qui font le pari de l'indépendance pour insuffler un changement de l'extérieur. Depuis une dizaine d'années, ils seraient de plus en plus nombreux à vouloir se libérer des institutions. Les départs en solitaire, ou en cabinet d'associés indépendants, précurseurs d'une nouvelle norme professionnelle?

 

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