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Les pays en développement, premières victimes de l'essor de l'IA

Alors qu'on ne cesse de s'inquiéter de l'impact de l'intelligence artificielle sur l'économie et la structure du salariat dans les pays occidentaux, un rapport attire l'attention sur les conséquences qu'aurait une automatisation généralisée dans les pays en développement.

Et si l’essor de l’intelligence artificielle posait d’autres problèmes que le remplacement (fantasmé ?) de l’homme par la machine ? Dans un rapport publié le 2 juillet, deux chercheurs du King’s College à Londres, Lukas Schlog et Andy Sumner, imaginent les effets probables de l’automatisation dans les pays en développement. Une perspective économique et sociale rarement étudiée qui met en lumière les inégalités que risquent de creuser ces technologies entre les pays.

« Le débat actuel se concentre trop sur les avancées technologiques, et pas assez sur les facteurs économiques, politiques, légaux et sociaux à l’oeuvre derrière l’automatisation de l’emploi », constatent-ils en déplorant que la majorité des recherches se limitent pour l’heure aux pays de l’OCDE.

Un impact sur l’emploi


« Les pays en développement ont davantage d’emplois potentiellement remplaçables par des machines », analyse ce rapport. En première ligne : les métiers peu qualifiés, notamment dans le secteur de l’agriculture. Dans ces pays défavorisés, 1,8 milliards d’emplois peu qualifiés
soit deux tiers de leur force de travail actuelle sont en effet susceptibles d’être remplacés par des robots et l’intelligence artificielle dans l’état actuel de la technologie. Les pays à revenu élevé sont globalement moins touchés puisque l’interaction sociale et la créativité caractéristiques du secteur tertiaire (majoritaire) protègent pour le moment de nombreux métiers de l’automatisation.

Évoquant la montée d’une « armée de réserve de robots » à l’échelle mondiale, les chercheurs réactualisent le concept marxiste d’ « armée de réserve industrielle » évoquée dans Le Capital. Ce surplus de travailleurs (principalement des chômeurs), par son existence même, provoquerait une pression à la baisse sur les salaires au sein de la population active… En résumé, on est trop heureux d’avoir un boulot pour prendre le risque de militer pour un meilleur salaire ou des conditions de travail plus avantageuses.

Si l’armée de réserve humaine est limitée, les robots du XXIème siècle pourraient eux constituer une ressource inépuisable (et docile) de travail, et exercer une pression d’autant plus forte dans les pays en développement qu’ils sont davantage menacés par l’automatisation.

Plutôt que de provoquer un chômage de masse, les technologies de robotisation associées à la montée de l’intelligence artificielle devraient donc surtout précariser les emplois. Dans les pays en développement, « les travailleurs vont se ruer sur le secteur tertiaire, faisant baisser les salaires », détaillent les chercheurs. L’affaiblissement de la croissance économique que l’automatisation engendrerait pourrait freiner la dynamique de réduction de la pauvreté à l’oeuvre, et accentuer les inégalités sociales à l’échelle nationale.

L’utopie en dernier recours ?


Les pouvoirs publics auraient intérêt, selon les chercheurs, à anticiper les effets néfastes de l’automatisation : des vagues de licenciement massives risqueraient de provoquer des réactions politiques importantes, ainsi que des grèves et des actes de vandalisme.

Parmi les stratégies avancées, la mise à niveau des travailleurs ne convainc pas les auteurs du rapport : le financement de telles formations pourrait bien rendre le travail humain encore plus cher en comparaison du travail automatisé. Idem pour le développement de secteurs préservés de l’automatisation généralisée comme la santé, l’éducation et le social, qui demanderait des investissements considérables de la part des pouvoirs publics.

Les régulations visant à limiter la concurrence des robots et des humains semblent également condamnées à l’échec. Si on se met à taxer les robots, les consommateurs se tourneront naturellement vers les produits les moins chers, quitte à les acheter en dehors des zones de régulation. La stratégie inverse, à savoir réduire les coûts de travail pour gagner en compétitivité et conserver les emplois, reviendrait quant à elle in fine à baisser le salaire minimum et les cotisations sociales, exacerbant une tendance à la précarisation déjà présente dans les pays en développement.

Alors que faire pour sortir de l’impasse ? « Aussi utopique que cela puisse paraître aujourd’hui, un revenu universel de base doté d’un système de redistribution mondial, financé par les pays à revenu élevé, s’imposera peut-être de lui-même », hasardent les chercheurs.

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