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Légale, la monnaie locale ? ShareLex dissipe les flous juridiques

N'ayez plus peur du droit ! Pour y voir plus clair, des "laboratoires de la loi" (LaboLex) ont été créés par la communauté ShareLex afin de rassembler juristes et entrepreneurs. Un outil utile lorsque subsistent certaines zones d'ombre. "Mais est-ce que c'est légal ?" entend-on souvent concernant l'utilisation des moyens de paiement locaux. Explications par Anne-Cécile Ragot et Hervé Pillard, à l'origine du LaboLex sur les monnaies locales et complémentaires.

Faciliter l’accès au droit, c’est à la fois en réduire le coût, en améliorer la compréhension, et fluidifier l’accès aux experts. Cela passe par le partage des expériences, la co-création de solutions et la mise en relation de ceux qui ont des questions avec ceux qui peuvent leur répondre.

C’est l’ambition de ShareLex. Au sein de cette communauté, tout se passe dans des laboratoires de la Loi, appelés “LaboLex”, rassemblant juristes, entrepreneurs et autres usagers du droit. En ligne, un outil collaboratif numérique permet de poursuivre et d’élargir les échanges avec des contenus “open source”.

Interview de deux membres actifs de la communauté ShareLex, Anne-Cécile Ragot et Hervé Pillard. Ils ont piloté le LaboLex Monnaies Complémentaires, dont les travaux sont publiés sous licence libre sur le site de ShareLex.

 

Qui êtes-vous ?

ACR : Anne-Cécile Ragot, présidente de TAOA, association pour soutenir et promouvoir le développement des monnaies sociales.

HP : Hervé Pillard, avocat au barreau de Paris, spécialiste de droit bancaire et financier.

Tous deux membres de ShareLex et contributeurs du LaboLex sur les monnaies locales et complémentaires, depuis près de trois ans.




Comment est né le LaboLex sur les monnaies locales et complémentaires ?

ACR : Une monnaie locale est une “monnaie” qui circulesur un territoire donné (un quartier, une ville ou même une région), et qui est acceptée comme moyen de paiement dans un réseau de prestataires choisis (commerces et services de proximité, artisans, entreprises locales…). Avec l’euro, on peut tout acheter et surtout n’importe où. On ne réfléchit pas toujours au sens de ses achats, or un acte de consommation n’est pas neutre : faire ses courses chez un commerçant, c’est choisir d’investir en lui. Une façon de nous encourager à dépenser notre argent auprès de ceux que nous voulons voir grandir.

HP : Ce LaboLex est né du constat que le régime juridique des monnaies complémentaires n’avait jamais été réellement exploré. De nombreuses questions se posaient sur la validité et le régime de ces monnaies au regard du monopole bancaire et de l’ordre public monétaire. Et, à ma connaissance, personne n’avait encore vraiment creusé ces questions.

ACR : Sur les monnaies locales, on nous demandait souvent : “Mais est-ce que c’est légal ?”. S’il n’y avait pas de réponse claire à la question de la légalité des monnaies locales, ce flou pouvait être considéré comme un risque juridique important par certaines parties prenantes  (comme les collectivités ou le trésorier payeur général) et devenir un frein au développement des monnaies locales. On a donc décidé de se pencher sérieusement sur la question et le modèle du LaboLex nous a permis de le faire tous ensemble.

 

Pourquoi était-ce important de créer ce LaboLex ?

HP : Il y a trois ans, les monnaies complémentaires ont commencé à attirer l’attention des autorités de tutelle, notamment l’APCR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution). Il était clair que les acteurs ne pouvaient plus conduire leurs expérimentations sans une évaluation précise du risque juridique.

ACR : À cette période, une amie juriste m’a recommandé de faire une étude juridique approfondie sur le sujet. Grâce à un don de l’association l’Archipel des Utopies pour financer l’étude, nous avons pu lancer la machine et, fin février, l’étude était finalisée. Simultanément, on a appris que Benoît Hamon et Cécile Duflot avaient commandé un rapport interministériel sur les monnaies locales complémentaires. Hervé est alors devenu l’un des interlocuteurs privilégiés du gouvernement, il était le seul avocat connaissant la question des monnaies d’un point de vue technique et professionnel. Tout s’est vraiment bien enchaîné et aujourd’hui les monnaies locales sont officiellement reconnues dans la loi. Le code monétaire a même été modifié. L’amendement est loin d’être parfait mais c’est une étape encourageante qui montre le soutien du gouvernement au mouvement des monnaies locales et complémentaires.

HP : Cette étude a été très importante pour ShareLex. Ce financement nous a permis de poser les bases et, à titre personnel, m’a permis de conseiller la mission interministérielle et de lui faire une proposition d’amendement officialisant les monnaies locales complémentaires dans la loi sur l’Économie sociale et solidaire.

 

Avez-vous publié dans ShareLex la FAQ de l’amendement ?

ACR : Oui, nous avons pris le temps de définir les questions les plus importantes à se poser et de rédiger les réponses. La FAQ a ainsi été transmise aux différents réseaux des acteurs des monnaies locales et complémentaires en France, mais aussi au CCIA (Community Currencies in Action) qui coordonnait une étude européenne.

HP : J’ai publié la FAQ comme par acquittement d’une dette morale vis-à-vis de ShareLex : “donner, recevoir, rendre”, c’est le principe communautaire.

 

Comment êtes-vous devenus contributeurs de ce LaboLex ?

HP : C’est Anne-Laure Brun Buisson qui m’a proposé de collaborer à ShareLex, nous étions associés dans le même cabinet d’avocats. En exerçant dans le domaine du financement, j’ai vécu assez directement la crise des subprimes de 2008 et ça a nourri des interrogations sur le sens et l’utilité de mon activité en tant qu’avocat. ShareLex me donnait l’occasion de me confronter intellectuellement à cet objet passionnant et mystérieux qu’est la monnaie.

ACR : C’est aussi ma rencontre avec Anne-Laure qui m’a amenée à m’impliquer dans ShareLex. C’est d’ailleurs le premier LaboLex qui a été lancé. Nous étions assez nombreux du côté des acteurs des monnaies locales dans ce LaboLex : il y avait Etienne Hayem, Matthieu Vachez, Carlos de Freitas, Marie Fare. Et aussi Olivia Zarcarte, qui travaille sur la visualisation d'informations juridiques.

HP : Et avec moi du côté des juristes, il y avait Christophe Court, avocat fiscaliste, et Romain Zannolli, universitaire.

 

Pourquoi passer par ShareLex ?

ACR : Pour des non juristes, la partie juridique fait vraiment peur. On n’aurait jamais eu les moyens de s’offrir les services d’un avocat pour plancher sur le sujet. Avec ShareLex, on est vraiment dans un modèle gagnant-gagnant. Hervé s’est formé aux monnaies locales à nos côtés. Quant à nous, acteurs des monnaies locales et complémentaires, nous avons désormais des réponses approfondies sur les questions juridiques et une personne ressource sur qui compter.

HP : Moi, je n’ai rien choisi, c’était sur la route, je ne connaissais pas ce monde alternatif. Grâce à ShareLex, j’ai pu explorer des domaines nouveaux avec des personnes que je n’aurais pas croisées dans mon milieu professionnel, selon d’autres logiques, et mener une réflexion et une action signifiantes pour moi à titre personnel.


 

 

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