Entretien

« Le recyclage n'est pas seulement insuffisant, il peut être contre-productif »

CC0 Domaine public

Dans « Recyclage, le grand enfumage - comment l'économie circulaire est devenue l'alibi du jetable », Flore Berlingen, directrice de l'association Zero Waste France, revient sur les différents mythes autour du recyclage, complice de la culture du « tout-jetable ».

Comment en êtes-vous venue à écrire ce livre ? 

Pendant des années, nous nous sommes contentés à Zero Waste France d’expliquer que le recyclage n’était pas suffisant. Aujourd’hui, nous constatons que ce discours n’est pas entendu. C’est pour cela que nous avons décidé de le pousser un cran plus loin et d’être beaucoup plus radical : le recyclage n’est pas seulement insuffisant, il peut être contre-productif – et donc dangereux – en nous épargnant des choix de société pourtant urgents. Il faut donc absolument porter cette critique. Car si nous constatons beaucoup d’améliorations, la perception du recyclage – de plus en plus présenté et utilisé comme argument de vente – reste très problématique.

Pourquoi l’image cyclique du recyclage pose-t-elle problème ?

Cette image d’un fonctionnement en boucle fermée est activement entretenue par le discours de certaines marques. C’est une illusion d’abord pour des raisons de limites techniques. Pour qu’il y ait recyclage, il faut réunir de nombreuses conditions. La recyclabilité technique en est une. Le geste de tri, par exemple, en est une autre une autre, et c’est d’ailleurs malheureusement celle sur laquelle les discours publics comme privés insistent le plus.

Quand nous sommes interrogés par les médias au sein de Zero Waste France, c’est le constat qui revient le plus souvent : si le recyclage ne fonctionne pas, ce serait à cause des individus, trop peu sensibilisés. Il y a pourtant de nombreux autres obstacles au recyclage qui ne relèvent pas d’un manque de bonne volonté de la part des citoyens. Pour qu’un emballage soit recyclable, il faut d’abord que le producteur de l’emballage en question ait fait le choix d’un matériau qui soit tout simplement recyclable. Or, la moitié des emballages plastiques mis aujourd’hui sur le marché ne le sont pas. Rien qu’avec cet exemple, on voit que la moitié du problème ne peut tout simplement pas être résolue par les citoyens. 

Le plastique n’est-il pas recyclable à l’infini ? 

On parle souvent du plastique mais il s’agit en fait des plastiques, car il en existe plusieurs types, plus ou moins (voire pas du tout) recyclables. Le plastique le plus recyclable d’un point de vue technique aujourd’hui est le PET, qui sert notamment à faire les bouteilles d’eau ou de soda. Lorsque le PET est recyclé, il perd sa transparence et certaines de ses qualités recherchées par les industriels. Résultat : les fabricants ajoutent toujours de la matière vierge pour conserver cette transparence. Certaines marques utilisent dans leur gamme du plastique recyclé (en partie ou à 100 %) mais ce qu’elles ne mentionnent pas, c’est qu’il faut plusieurs bouteilles de PET vierges pour produire une bouteille de PET recyclée.

C’est là qu’est la tromperie : notre esprit associe l’expression 100 % recyclée à une boucle fermée, alors qu’il y a toujours une perte de matière. Si en plus la marque en question prévoit de gonfler son chiffre d’affaire, elle va vendre un nombre croissant de bouteilles et donc augmenter sa consommation de matières premières. Sans compter que le recyclage, quel que soit le matériau, n’est pas un processus neutre d’un point de vue environnemental : son processus de production a des impacts sur le climat, la consommation d’eau, etc. Le cœur du problème si situe donc au niveau de l’usage. Même recyclable, même recyclé, l’investissement en ressources ne sera pas rentabilisé d’un point de vue environnemental si l’on reste sur des objets à usage unique.

Qu’est-ce qui alimente cette illusion ? 

Les effets d’annonce de certaines start-ups (du type « On a trouvé le moyen de recycler le plastique à l’infini ! ») ont tendance à alimenter ce mythe du recyclage à l’infini. C’est arrivé récemment, avec Carbios, l’une des start-ups les plus actives dans la recherche de nouvelles possibilités de recyclage. Spécialisée dans le recyclage enzymatique, cette start-up cultive des petites enzymes qui décomposent le plastique et permettent de le recycler. Sur le principe, cela n’est pas sujet à controverse car si l’on continue à utiliser du plastique, il faut bien faire évoluer les pratiques de recyclage. Le problème vient de leur manière de communiquer : le message est si positif que l’on arriverait presque à penser que les problématiques liées aux plastiques sont réglées, alors que leur process n’existe pour l’instant qu’en laboratoire.

Les scientifiques essaient en réalité depuis les années 1950 de trouver des systèmes de recyclage chimique du PET, et pourtant, nous fonctionnons toujours au recyclage mécanique. Ce type de recherche peut être une partie de la solution, mais ils ne régleront pas le problème de nos bouteilles en plastique. Par rapport à la quantité massive de plastique que nous consommons, cela ne pourra pas être une solution, et sûrement pas à un coût environnemental acceptable. 


© Erwan Floc'h

À qui doit-on ce manque d’informations ou même cette désinformation quant à la réalité des possibilités offertes par le recyclage ? 

Je tiens quand même à préciser que je ne remets pas le recyclage en question : dès lors que l’objet a eu une utilité et une vie longue, il est tout à fait normal de vouloir le recycler ! Le problème, c’est l’instrumentalisation de ce processus. Une partie de la responsabilité pèse sur les acteurs économiques qui ont fondé leur modèle sur le jetable et qui, logiquement, mettent en avant le recyclage. Les premières campagnes de sensibilisation sur le tri ont d’ailleurs été menées par des industriels de la boisson aux États-Unis, mais aussi en France. Leurs intérêts économiques sont tellement liés au jetable que le recyclage est pour eux le seul moyen de préserver leur fonctionnement. Aujourd’hui, la marque H&M donne non seulement des bons d’achats pour chaque ancien vêtement rapporté afin de pousser à la consommation, mais elle déculpabilise sa clientèle en expliquant que ces vêtements seront recyclés. Or, à l’échelle globale, moins de 1 % des vêtements sont recyclés pour devenir de nouveaux vêtements. Enfin, il y a en effet ce biais, expliqué dans les travaux de Monic Sun et Rémi Trudel, deux chercheurs de l’université de Boston, qui ont fait des expériences sociales pour montrer que le recyclage avait une connotation tellement positive qu’elle pouvait nous amener à surconsommer une ressource qui nous était proposée. 

Mais il y a aussi une communication publique. Le discours toujours positif des campagnes publiques sur le recyclage tient selon moi à deux choses : en premier lieu, à une volonté de simplifier le message par peur que le tri ne soit pas réalisé, et ensuite, à la peur d’être en contradiction avec les investissements locaux. Si une commune investit plusieurs millions d’euros dans un centre de tri, il est ensuite compliqué de porter ou relayer un discours critique. Malgré tout, ce serait le rôle des pouvoirs publics d’expliquer cette complexité et d’expliquer que la priorité n’est pas au recyclage mais à la réduction à la source. 

Je ne remets pas le recyclage en question : dès lors que l’objet a eu une utilité et une vie longue, il est tout à fait normal de vouloir le recycler ! Le problème, c’est l’instrumentalisation de ce processus. Une partie de la responsabilité pèse sur les acteurs économiques qui ont fondé leur modèle sur le jetable et qui, logiquement, mettent en avant le recyclage.


À plus grande échelle, vous affirmez que le recyclage est devenu la clé de voûte d’un système de distribution reposant presque entièrement sur des conditionnements à usage unique. Finalement, le recyclage est parfaitement intégré au système capitaliste ? 

Le recyclage est l’un des nombreux révélateurs des incompatibilités entre le modèle économique capitaliste et les intérêts environnementaux et sociaux. Qui dit capitalisme, dit modèle de croissance des volumes. Ramené au recyclage, ce modèle ne règle rien au problème de la surproduction des déchets : non seulement, le recyclage se nourrit du jetable mais en plus, il reconduit et intensifie celui-ci, car une fois les centres de tri construits, il faut les rentabiliser. Prenons l’exemple de l’obsolescence programmée. Ces pratiques sont apparues dans les années 1930 face à une crise de surproduction, typique du modèle capitaliste. Quand les marchés ont commencé à saturer, il a donc fallu trouver de nouveaux débouchés. Pour désengorger les volumes croissants et les renouveler plus fréquemment, l’obsolescence programmée est apparue comme une solution. Il se passe la même chose avec le recyclage : celui-ci offre aux emballages jetables une porte de sortie. Ensuite se pose la question des débouchés du recyclage lui-même : puisqu’ils fonctionnent sur le même modèle de rémunération et de création de valeur, les opérateurs du recyclage sont rémunérés à la tonne et, partant, leur intérêt est d’avoir le plus de tonnage possible. 

La société Starbucks est mentionnée dans votre essai : elle finance des campagnes de communication sur le recyclage et la réutilisation mais, dans les faits, ne fait pas grand chose. Pourquoi cette dissonance ? 

Tous les objets jetables qui circulent dans l’espace public sont des objets de communication, et c’est pour cette raison que les marques s’y accrochent coûte que coûte. Ensuite, tout ce qui pourrait effrayer leur clientèle est mis de côté. Une autre raison qui explique la réticence des entreprises, ce sont les coûts supplémentaires : le jetable est aujourd’hui si peu cher que cela peut être plus onéreux de passer au réutilisable. A contrario, si les tasses devraient être lavées, le coût du travail induit serait alors plus important que celui du jetable. Si le jetable était à son juste prix environnemental et social, cela changerait complètement les arbitrages. 

Pendant la crise sanitaire, nous avons vu un retour en force du plastique à usage unique dans tous les secteurs économiques. Ce retour à l’hygiénisme et à l’hyper contrôle est-il réellement justifié ? 

Même dans le milieu médical, des médecins et des chercheurs ont appelé dans une tribune publiée au journal Le Monde à revoir cet usage du jetable et à reconsidérer des méthodes plus anciennes. La stérilisation et l'utilisation de matériaux réutilisables sont par exemple tout à fait compatible avec des standards d’hygiène. Les historiens Bruno Strasser et Thomas Schlich ont aussi retracé l’apparition du masque jetable. Ils ont constaté que le masque jetable n’était pas apparu pour des raisons d’hygiène mais par la volonté de l’entreprise 3M, qui aurait poussé la consommation de ces masques jetables pour des raisons purement économiques. D’un point de vue sanitaire, les usages précédents étaient donc tout à fait adaptés.

N’y a-t-il pas un risque, à moyen-terme, de voir les réglementations environnementales repoussées, comme par exemple la loi sur l’interdiction de l’usage de la vaisselle jetable dans la restauration, qui devait entrer en vigueur en janvier 2023 ?

Ce risque s’est manifesté, mais ces normes environnementales n’ont pour l’instant pas bougé. Les réponses de la Commission européenne face à ces attaques ont été assez claires. Du côté français, aucun report n’a été annoncé n’ont plus. Il y a eu une bonne évolution dans les discours, et petit à petit, sur les actes. Car, au tout début de la loi anti-gaspillage, l’objectif était le recyclage. À la fin du processus, l’objectif n’était plus le 100 % plastique recyclé, mais l’interdiction des plastiques à usage unique en 2040. Même si cela reste encore beaucoup trop long, nous allons vers un nouveau paradigme.



© Editions Rue de l'échiquier

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