Géo-ingénierie et nature

Faut-il modifier la nature pour combattre le changement climatique ?

Les « Solutions Fondées sur la Nature » visent à s'appuyer sur nos écosystèmes pour lutter contre le changement climatique, notamment grâce aux puits de carbone que sont les océans et les forêts. Mais derrière cette catégorie fourre-tout, on retrouve aussi bien des initiatives d'agroforesterie que des expérimentations de géo-ingénierie et de modifications génétiques qui posent question.

Plutôt que de construire de coûteuses usines à gaz, pourquoi ne pas miser sur la capacité des forêts, des terres agricoles et des océans à capter durablement le carbone de l’atmosphère ? Selon le sixième rapport du Giec, la protection et la restauration des puits de carbone biologiques, combinées à un changement de pratiques agricoles à grande échelle, pourraient en effet séquestrer l’équivalent de 8 à 14 gigatonnes de CO2 chaque année. Un levier incontournable donc, alors que les émissions mondiales de gaz à effet de serre s’élèvent à plus de 50 gigatonnes par an.

Article à retrouver dans notre numéro « Géo-ingénierie, c'est parti ? », en librairie et sur notre boutique.


Et quoi de plus consensuel a priori que les Nature based climate solutions (« solutions climatiques basées sur la nature ») ? Rejetant cette catégorie fourre-tout, le prospectiviste Pierre Gilbert, auteur de Géomimétisme. Réguler le changement climatique grâce à la nature (Les Petits Matins, 2020), opère une distinction nette entre les initiatives de géo-ingénierie faussement naturelles et les pratiques respectueuses de la biodiversité et des cycles naturels, relevant selon lui du « géomi­métisme ». « Quand vous faites de l’afforestation en monoculture, vous êtes dans la géo-ingénierie puisque, dans la nature, il n’existe pas de forêt mono-espèce. » Une authentique « reforestation biomimétique » suppose au contraire de planter « un cocktail d’essences variées, si possible locales et adaptées au changement climatique ».

Or, selon Pierre Gilbert, la monoculture est la règle dans 85 % des projets de reforestation menés actuellement en France. Et la logique de compensation des émissions, adoptée notamment par le secteur aérien, pose un vrai problème, puisqu’elle repose le plus souvent sur des projets de reboisement en monoculture – généralement d’eucalyptus – dans les pays méditerranéens ou du Sud. Vulnérables aux incendies, ces projets favorisent le développement d’insectes ravageurs et l’accaparement des terres et de l’eau. « Est-ce qu’on le fait en délogeant des personnes, s’alarme Sofia Kabbej, de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), en utilisant des terres arables qui seraient destinées à de l’agriculture vivrière ? » Et dans tous les cas, rappelle la chercheuse, l’objectif doit être à terme de compenser uniquement « les émissions résiduelles » et pas de permettre le business as usual.

Superplantes pour superphotosynthèse

Un autre puits naturel de carbone prometteur se trouve dans les sols agricoles. La généralisation de pratiques telles que l’agroforesterie, la plantation de haies, l’abandon du labour, le maintien de couverts végétaux, permettraient d’accroître sensiblement le potentiel de séquestration des terres. La nature est bien faite, dit la sagesse populaire. Mais, pas assez, semble-t-il, aux yeux de certains généticiens. Pour booster l’efficacité de la captation agricole du carbone, des scientifiques s’attellent donc à « améliorer »… la photosynthèse. « On distingue deux types de photosynthèse [:] la photosynthèse C3, qui est le processus mis en œuvre par la majorité des plantes cultivées, fixe des chaînes de carbone composées de trois atomes de carbone; la photosynthèse C4, que l’on trouve chez le maïs et la canne à sucre, fixe des chaînes de carbone composées de quatre atomes, d’où leur croissance plus rapide et leur utilisation “plus efficace” de l’eau et des nutriments, explique l’économiste Hélène Tordjman dans La croissance verte contre la nature(La Découverte, 2021). L’idée des docteurs Folamour de la biologie synthétique est de transformer des plantes C3 comme le riz et le blé en plantes C4. »


Ainsi, un programme de recherche de l’Innovative Genomics Institute de San Francisco, financé par la fondation de Mark Zuckerberg, vise à mettre au point du riz et du sorgho génétiquement modifiés pour capter davantage de carbone. « Quand bien même la plante pousse plus vite, il faut se demander comment cette matière organique est transformée à long terme, rappelle Pierre Gilbert. L’important, c’est ce qui finit dans les sols. C’est le système racinaire, la création d’humus, donc la microfaune et la biodiversité que vous avez sur votre parcelle. »

Le carbone qui prend la mer

Pour absorber un maximum de carbone, certains préfèrent se tourner vers le grand large. Selon le rapport « Transitions 2050 » de l’Ademe, les océans constituent en effet un puits qui capte déjà 9 gigatonnes de CO2 par an. Cette absorption se fait d’une part par la dissolution du carbone dans l’eau de mer, et d’autre part, via ce qu’on appelle la « pompe biologique océanique ». Le phytoplancton présent en surface absorbe du carbone par la photosynthèse, et une partie de cette matière organique – environ 2 % – tombe vers les profondeurs et finit par sédimenter. Pour stimuler cette pompe à « carbone bleu », scientifiques et entrepreneurs se sont mis en tête dans les années 2000 de « fertiliser » les océans en y déversant du fer ou de l’azote pour favoriser la prolifération des micro-algues.

Selon un rapport datant de 2011 de l’ONG canadienne ETC group, qui effectue une veille sur les technologies émergentes, au moins treize expérimentations en pleine mer de cette technique avaient déjà été réalisées. Avec des résultats peu convaincants, et en dépit de risques importants, tels que la désoxygénation de zones entières. En 2008, le projet de l’entreprise américaine Planktos, qui prévoyait de déverser de grandes quantités de particules de fer à proximité des îles Galápagos, a été stoppé par la mobilisation de la société civile américaine. Et la même année, un moratoire sur la fertilisation des océans a été adopté lors de la COP 9 et reconduit en 2010 par le vote des 193 pays membres de la Convention sur la diversité biologique.

Modification génétique des plantes


Pour le partisan du géo-mimétisme Pierre Gilbert, il est pourtant possible de renforcer la pompe biologique océanique sans recourir à ces méthodes artificielles. Il faudrait pour cela retrouver « le niveau de vie marine qu’il y avait dans les océans avant l’essor de la pêche industrielle » et favoriser le retour des grands cétacés. « À chaque fois qu’une baleine défèque, ça fait un mini-bloom planctonique ! » 

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