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Freelance, indépendants: vers une conscience des classes et plus de protections?

La Freelance Fair, premier grand rassemblement dédié aux indépendants, a réuni 500 personnes en mars dernier à Paris. Le signe d'une structuration naissante qui va de pair avec des revendications nouvelles en termes de protection et droits auxquelles tentent de répondre des acteurs émergents.

Sur l’une des mezzanines de la Bellevilloise, un lieu branché parisien qui court sur trois étages, une dizaine de femmes freelance s’interrogent, Post-it à la main, sur leurs faiblesses et leurs forces. Éparpillement, gestion de la vie professionnelle et personnelle, manque de confiance dans les périodes de creux reviennent notamment au premier plan. Alors que les rayons de soleil percent le Plexiglas de la verrière, Hayat Outahar, consultante en communication et présidente de l’association Femmes Entrepreneurs, déconstruit les problématiques et fait témoigner les indépendantes les plus expérimentées.

Un peu plus loin, un petit groupe débat. Le thème du moment : prendre la clé des champs, quitter la ville et ses inconvénients. Mais s’installer à la campagne en tant que freelance est-il possible, avec quels avantages et quelles difficultés ? Réunis en séance plénière, des dizaines de freelances écoutent, eux, une conférence sur les différents statuts possibles. À un autre étage, on échange et on réseaute. L’espace Job Sphère permet aux travailleurs indépendants et potentiels clients de se rencontrer, avec des missions à la clé. Et c’est ainsi qu’entre ateliers pratiques, conférences et moments d’échange, 500 personnes ont participé le 16 mars dernier à la Freelance Fair. Un premier rendez-vous « construit pour, par et autour des freelances » par Mutinerie, pionnier du coworking en France.

 

« Conscience de classe »


« À nos yeux, nous vivons actuellement un basculement, déclare Antoine van den Broek, cofondateur et président de Mutinerie. Être freelance est un choix de vie professionnel qui interpelle de plus en plus de travailleurs et convoque de plus en plus de métiers. Dans les médias et les discours politiques, on parle davantage du travail indépendant. Face à cela, nous avons considéré qu’il était urgent d’avoir un événement d’envergure sur le sujet. » La Freelance Fair, qui a vocation à se pérenniser, témoigne de la structuration naissante d’un univers qu’elle veut encourager. « En rassemblement des centaines d’acteurs du monde des freelances, nous souhaitons participer à l’émergence d’une identité de groupe, voire à une conscience de classe », souligne Antoine van den Broek.

Pas facile d’appréhender la diversité des situations qui composent l’univers du travail indépendant. Quel lien existe-t-il en effet entre un chauffeur Uber, une femme de ménage et un designer freelance ? Dans une récente étude, le cabinet de conseil américain McKinsey a recensé 13 millions de travailleurs indépendants en France, définis selon trois critères : autonomie, relation contractuelle de court terme passée avec un client, paiement à la tâche ou à la commande. Selon cette enquête, 40 % réalisent un travail indépendant de manière occasionnelle, et ce, en plus d’un salaire. C’est loin d’être le cas des indépendants de la Freelance Fair !



Freelance United


« Pour nous, le mot freelance ne “recoupe” pas les indépendants du passé, comme les agriculteurs ou les professions libérales. Le nouveau freelance n’a pas forcément de fonds de commerce ou de licence. C’est quelqu’un qui vend directement une prestation, et ce, sans engager quelqu’un d’autre », explique Laëtitia Vitaud, enseignante à Sciences Po. Cette spécialiste du travail a collaboré à une étude réalisée en janvier par la plateforme Hopwork sur les 830 000 freelances recensés en France, dont 60 % vendent leurs services aux entreprises, souvent dans les activités liées au digital (1). Un chiffre en croissance de 11,5 % par an.

« Quand on a lancé Hopwork et qu’on a demandé aux freelances ce qu’ils attendaient, ils nous ont d’abord répondu qu’ils souhaitaient des clients, puis être payés », précise Vincent Huguet, cofondateur de Hopwork, qui propose des profils de freelances, évalués et référencés, mais ne publie pas d’appels d’offres de clients pour éviter la mise en concurrence et la baisse des prix. Afin d’éviter les impayés et les délais trop longs, Hopwork demande au client de s’acquitter du montant dû dès le début de la prestation, bloque ensuite l’argent, puis le reverse au freelance une fois la mission accomplie. La plateforme gère également la facturation et protège juridiquement les missions grâce à un partenariat avec Axa.

De son côté, la start-up Wemind – qui teste encore ses solutions en version bêta mais rassemble déjà 11 000 freelances – propose une mutuelle à un prix négocié, l’accès à un comité d’entreprise et une garantie loyer impayé. « Nous voulons qu’un freelance ait la même couverture santé qu’un salarié, au même prix ; pour cela, être une communauté nous donne une vraie force de négociation », explique Hind Elidrissi, cofondatrice de Wemind. Isolés, les freelances ont besoin de cette force du collectif. Que peut faire une femme enceinte discriminée sur une mission ou un graphiste harcelé par un client ? « Dans ces situations, sans organisation collective, on est désemparé, souligne Noémie de Grenier, cofondatrice de la coopérative Coopaname qui rassemble plus de 800 freelances. En faisant partie d’un collectif et en partageant ses galères, on trouve déjà des solutions. Mais, à terme, il faudra négocier des droits rattachés au travail et pas au statut salarial. »

Wemind comme d’autres répond à des besoins pressants en comblant le manque de reconnaissance des freelances par la société et les lacunes des statuts juridiques en la matière. Une première étape que vient aussi de franchir la CFDT en lançant Union, une plateforme qui propose aux freelances une assurance responsabilité professionnelle et gère les bons de commande, devis et facturation. Mais Wemind, tout comme l’acteur historique de l’action collective, sait qu’il faudra aller plus loin en portant les revendications des freelances devant les pouvoirs publics.

« Il faut rattacher les droits aux personnes et non plus aux statuts, estime Olivier Lelong, secrétaire fédéral de la CFDT. Nous proposons aux freelances de venir nous voir, de réfléchir à leurs besoins et de voir ensuite comment on peut porter cette voie ensemble. » Reste à savoir si les politiques seront réceptifs. Aux États-Unis, la Freelancers Union, moins syndicat qu’entreprise de services pour freelances, a joué un rôle clé dans l’adoption en octobre dernier par la ville de New York de la première loi américaine de protection des travailleurs indépendants (Freelance Isn’t Free Act). Le travailleur de demain, plus libre et mieux protégé ?

Les freelances
90 % le sont par choix

75 % en sont fiers
70 % déclarent gagner autant, voire davantage que lorsqu’ils étaient salariés
88 % pensent que leur entourage est inquiet pour eux
(Selon un sondage réalisé par Hopwork en janvier 2017 auquel 1 014 freelances de la plateforme ont répondu sur 33 000 interrogés.)


 

NOTE

(1) Selon les données d’Eurostat.

Article initialement publié dans la rubrique Social&Co , en partenariat avec la MAIF, à retrouver dans le N°22 de Socialter  >> Retrouvez l'intégralité du numéro

Images : Eric Van den Broek

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