Reportage

Fashion Green Days : la mode éthique et écolo s'est réunie à Roubaix

Les 23 et 24 mai 2019, Roubaix, ancienne capitale du textile, s'est transformée en épicentre de la mode circulaire lors des Fashion Green Days. Recyclage, seconde main et éco-conception, les professionnels français du deuxième secteur le plus polluant au monde réfléchissent aux moyens de transformer leur industrie.

Chaque année, le secteur du textile émet 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre. Un impact plus important que les vols internationaux et le trafic maritime réunis. En France, 600 000 tonnes de vêtements sont produits tous les ans et 210 000 tonnes sont aujourd'hui collectées et triées.

Confrontés à de tels chiffres et à des consommateurs plus soucieux qu’auparavant de leur impact sur la planète, jeunes créateurs et marques installées de questionnent sur leur industrie. Roubaix les a accueilli lors du Fashion Green Days, afin d’amorcer une discussion entre associations, élus, professeurs et entrepreneurs pour tenter de refonder les pratiques et modèles du secteur.

L’association Nord Créa, un Groupement d’entreprises, d’écoles de collectivités et d’associations qui entend dynamiser l’écosystème du textile dans la région lilloise, n’a pas sélectionné ce lieu par hasard. Marqué par son glorieux passé, la ville de Roubaix (et plus généralement les Hauts-de-France),  fer de lance du textile lors de la révolution industrielle, a dû affronter le déclin du secteur dans les années 1950 du fait de la délocalisation de usines et ateliers vers des pays à bas salaires.

Roubaix n’entend pas abandonner la partie pour autant. Depuis cinq ans, elle est la première ville française à mener une politique ambitieuse de zéro déchet et espère de devenir un leader de l'économie circulaire dans son territoire. En février 2019, elle a été l’une des vingt premières communes en France à recevoir le label “French Impact” qui estampille les dynamiques d'innovation sociale et d'économie circulaire.

Durabilité et transparence

Au coeur des conversations du forum, les professionnels se sont questionnés sur la manière de produire de manière durable, en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production de déchets. Et ce n’est pas une mince affaire. Il faut aujourd'hui l’équivalent de 70 douches pour produire un teeshirt, 285 pour un jean. Alain Claudot, directeur d’EcoTLC, propose la mise en place d’un affichage environnemental pour indiquer au consommateur ce que rejettent les vêtements qu’il souhaite acquérir. « Il faut plus de transparence pour que l’acheteur réalise ce que le vêtement coûte à la planète, comme pour la voiture. »

Outre le CO2 émis lors de la confection, l’organisme a rappelé qu’à chaque lavage, des milliers de microfibres plastiques provenant des tissus synthétiques se libèrent sans pouvoir être filtrées par les systèmes d’épuration. Elles finissent dans les océans où elles sont ingérées par de multiples espèces sous-marines pouvant se retrouver elles-mêmes dans notre chaîne alimentaire. Elles mettront des décennies à se dégrader et peuvent contenir des produits chimiques toxiques. Au rythme actuel, d’ici 2050, l’humanité aura déversé plus de vingt millions de tonnes de microfibres plastiques dans les océans.

© Flickr @ Erik Forsberg

Egalement présente à Roubaix, Laetitia Vasseur, co-fondatrice et déléguée générale de Halte à l’obsolescence programmée (HOP), a argumenté en faveur d’un affichage de la durabilité des produits. En clair : indiquer sur l’étiquette une garantie que votre pantalon ne se déchirera pas avant deux, cinq ou dix ans. « L’industrie du textile est le secteur où l’on peut économiser le plus de CO2 avec la durabilité. H&M prétend faire de la qualité mais comment le prouver ? Il faut mettre en place des outils pour mesurer la robustesse et ne plus raconter ce qu’on veut au consommateur. »

Zara et H&M défaillants sur le devoir de vigilance

Autre acteur très en vu durant ces deux jours, le mouvement Fashion Revolution, né en 2014 après l’effondrement de l’atelier de confection Rana Plaza au Bangladesh qui a causé la mort de 1138 personnes, a rappelé l’importance de la création d’un label non seulement écologique mais aussi social. « Plus de pouvoir d’achat aux ouvriers leur permet de mieux consommer et donc d’être plus respectueux de la planète », a précisé Stéphane Maurigneux, directeur adjoint de l’Institut national de l’économie circulaire.

Le drame du Rana Plaza a d’ailleurs eu pour effet de conduire une coalition d’ONG françaises, comme Amnesty International ou Greenpeace, et des syndicats tels que la CFDT à réclamer aux multinationales de mieux contrôler leurs chaînes de sous-traitance. De cette mobilisation a germé en mars 2017 une réglementation unique au monde : la loi sur le devoir de vigilance. Elle dispose que les « sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre » d’une certaine taille doivent veiller aux bonnes pratiques sociales et environnementales de leurs filiales et sous-traitants. A cette obligation de prévention s’ajoute la possibilité d’engager la responsabilité civile d’une multinationale pour l’impact environnemental et humain de ses activités.

L'éffondrement du Rana Plazza, symbole de la fast fashion, le 24 avril 2013 à Dacca, capitale du Bangladesh. 

Un bémol cependant, signalé par le collectif Éthique sur l’étiquette lors de son intervention : deux ans après son instauration la loi est trop peu appliquée par les entreprises françaises. « Sur les 80 plans de vigilance analysés par nos associations, la plupart ne répondent que très partiellement aux exigences de la loi, notamment en termes d’identification des risques de violations, de leur localisation et des mesures mises en œuvre pour les prévenir. Plus grave encore, certaines sociétés, telles que Zara ou encore H&M, n’ont toujours pas publié de plan de vigilance, en dépit de l’obligation légale qui leur est faite. »

Mais l’année 2019 s’annonce décisive puisque les premières actions en justice s’appuyant sur cette loi pourront être lancées. Par ailleurs, le collectif a fait remarquer que la « France se devait d’assurer son application et son internationalisation en contribuant de manière ambitieuse à l’élaboration du traité sur les multinationales et les droits humains actuellement négocié aux Nations Unies tout en exigeant de l’Union européenne un soutien ferme à ce processus. »

La frip’ c’est chic

Le forum s’est enfin particulièrement attardé sur le « marché du second choix ». Si les entreprises se disent guidées par une conscience environnementale, la seconde main est aussi un secteur en pleine expansion qui peut rapporter gros. « Le marché de la mode à perdu 15% de sa valeur en dix ans. En 2018, 44% des Français ont acheté moins de vêtements qu’en 2017. Et 40% d’entre eux déclarent l’avoir fait pour des raisons éthiques », a indiqué Gildas Minvieille, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut Français de la Mode (IFM).

En ce moment, tous les regards sont tournés vers Vinted, leader de la friperie numérique, à la croissance annuelle de 300% et au chiffre d’affaires de 24 millions d’euros, mais d’autres entreprises investissent le secteur. Comme la marque de chaussures Bocage qui se lance dans dans une service de location, dispositif inédit en France.


Pour 29 euros par mois, il est possible d’emprunter des chaussures tous les deux mois dans les magasins, tandis que les pairs rendues seront renvoyées dans les usines et reconditionnées. Des petits nouveaux débarquent bien décidés à saisir leur part du gâteau, à l’image de Le Closet qui propose de louer les vêtements d’un autre utilisateur du site contre une somme d’argent tous les mois, permettant de renouveler sa garde robe sans consommer d’avantage.  

D’après le site américain Thred Up, en 2028, le marché de la seconde main devrait dépasser celui de la « fast fashion ». De quoi faire réfléchir le secteur de l’habillement français qui pèse 150 milliards d’euros et un million d’emplois.

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
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