A compléter

Face au défi climatique, l'agroécologie marocaine tente de s'imposer

L'association Acticity étudie les impacts des innovations sociales en milieu urbain. Dans ce cadre, ils se sont rendus au Marché Paysan à Rabat, une initiative qui promeut l'agroécologie, l'alimentation biologique et les circuits-courts. Des premiers résultats prometteurs mais qui pâtissent d'un désinvestissement de l'État et d'une conjoncture économique défavorable. Article invité.

En 2016, 60% de la population marocaine était urbaine. Ce fait démographique rend nécessaire une réflexion sur l’adaptation des modes d’alimentation en ville, notamment en regard du changement climatique, à l’heure où, dans toutes les régions, le processus de dégradation des sols et du couvert végétal s’intensifie, ce qui a pour effet de réduire la biomasse et d’éroder la biodiversité. Face à ce défi, le Marché Paysan de Rabat propose l’agroécologie comme solution dans un pays où l’agriculture reste l’un des principaux leviers de développement.

L’ambition de ce marché est de valoriser la production agroécologique autour de Rabat, et notamment les circuits-courts, en reposant sur des producteurs implantés à moins de 70 km de la ville. Le marché cherche par ailleurs à démocratiser l’alimentation biologique, à favoriser le travail collectif entre les producteurs et à améliorer la relation de confiance avec les consommateurs.

Le Marché Paysan de Rabat, le 13/10/2018 (© Acticity)


Un manque de soutien des pouvoirs publics


L’essor des techniques agroécologiques autour de Rabat, de Marrakech et de Meknès remonte à une dizaine d’années environ. Elles ont émergé en réponse à l’augmentation de la variabilité météorologique qui se traduit par l’augmentation de la durée des périodes de sécheresse et la diminution des ressources en eau, prioritairement destinées aux villes.

Pourtant, ces initiatives peinent à obtenir le soutien des pouvoirs publics. Le Plan Maroc Vert, initié en 2008, visait ainsi à améliorer la balance commerciale du pays en intensifiant la production nationale et en augmentant les exportations à haute valeur ajoutée, comme les fruits, les légumes et les olives.

Ce plan va totalement à l’encontre des initiatives agroécologiques, qui fonctionnent en écosystèmes, promouvant le renouvellement de la biomasse, l’entretien de la fertilité des sols, la diversification des espèces et la valorisation des interactions biologiques, et non la monoculture.

Les producteurs ont donc été contraints de se tourner vers des réseaux comme le RIAM ou le RADERS pour tenter de dynamiser leur activité. Avec un certain succès : dans la commune périurbaine de Sehoul, on comptait seulement 3 producteurs de ce genre en 2007 tandis qu’ils sont maintenant 10 à faire des cultures maraîchères et fruitières en agroécologie. Ces réseaux les aident également à la vente de la production puisque les producteurs ne peuvent bénéficier de certification bio, aucun cahier des charges précis n’ayant été établi au Maroc.

 

 

Acticity donne la parole aux producteurs et aux consommateurs

Des initiatives encore marginales


En l’absence de soutien public et financier, l’essor de l’agroécologie reste marginal au Maroc. Les prix des céréales et des légumes continuent de baisser, sans évolution de salaire, ce qui permet simplement aux agriculteurs de survivre.

Le prix du foncier, notamment en zone périurbaine, ne cesse de son côté d’augmenter : en 1990, un hectare coûtait entre 1000 et 12 000 dh (100 à 1200 euros), il coûte aujourd’hui entre 120 000 et 300 000 dh (12 000 à 30 000 euros). Les terrains sont donc valorisés par l’arboriculture, avec une grande majorité de propriétaires qui vivent en ville et emploient des salariés agricoles pour y travailler.

De leur côté, les consommateurs marocains s’intéressent eux aussi de plus en plus à ces produits, notamment pour des raisons sanitaires : des marchés agroécologiques ont ainsi vu le jour à Casablanca, Mohammedia, Marrakech et Rabat. Mais dans ces conditions, la consommation des produits biologiques et agroécologiques se limite à la classe moyenne aisée, les produits étant très chers pour un salaire moyen marocain.

Une démocratisation freinée par l’absence de certification


De plus, le manque de certification limite la confiance des consommateurs et il y a une confusion entre les produits “
beldi” (produits frais qui viennent de la campagne) et les produits agroécologiquesDes acteurs, tels que le RIAM, tentent de mettre en place une certification adaptée au contexte marocain, le SPG (Système Participatif de Garanti) pour valoriser et soutenir les agriculteurs qui font le pari de l’agroécologie au Maroc.

L'agroécologie reste donc une initiative très confinée : les consommateurs viennent par le bouche à oreille, des expatriés ou des marocains aisés. La plupart des producteurs sont des néo-ruraux, pour beaucoup propriétaires de fermes de loisirs et n’ont donc pas besoin d’en vivre : la vente est pour eux un plaisir. Cela rend le développement de fermes agroécologiques difficile pour les jeunes agriculteurs et exclut les fellah (c’est-à-dire les paysans marocains) qui n’ont ni les fonds, ni la formation pour se convertir à l’agroécologie.

Présentation d'Acticity : 


 

L’équipe d’Acticity, Félix, Romane, Clara et Frédérique, à Aubervilliers, lors de leur étude test en juin-juillet 2018



Il y a maintenant plus d’un an, alors que nous étions tous séparés au quatre coins du monde pour notre dernière année de licence, nous avons découvert une offre de l’entreprise sociale (Im)prove proposant de former “des explorateurs” à la mesure d’impact social. Leur mission: se former pendant un an, puis partir réaliser des études d’impact pour des entrepreneurs ou des associations à l’étranger, et enfin revenir partager ces nouvelles connaissances à d’autres étudiants, des entreprises françaises ou des réseaux d'entrepreneuriat social.

L’association Acticity est donc née de ce projet en focalisant ses études d’impact sur les innovations en milieu urbain. Tous étudiants en master à l’Ecole Urbaine de Sciences Po, chacun de nous a à coeur de valoriser ces projets qui portent des villes plus pérennes, plus belles et plus vertes. C’est comme ça que nous sommes partis tous les quatre, amis, collègues et colocataires, à l’aventure!

Après ces riches découvertes à Rabat, Acticity s’envole vers Lomé, au Togo, à la rencontre du fablab Weolab pour une mesure d’impact sur son projet Scope: récupérer et recycler les déchets plastiques de Lomé!

 

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NUMÉRO 62 : FÉVRIER -MARS 2024:
L'écologie, un truc de bourgeois ?
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