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Face à la pollution lumineuse, des communes françaises se mobilisent

La publication d'arrêtés gouvernementaux sur la pollution lumineuse fin décembre marque une nouvelle étape dans la lutte pour la préservation du ciel nocturne. De nombreuses communes françaises n'ont néanmoins pas attendu les avancées timides du gouvernement pour agir et prennent les devants dans la lutte contre les nuisances lumineuses.

Les citadins le savent bien : le ciel étoilé est en voie de disparition. Noyées dans les halos lumineux des lampadaires, phares de voiture et autres sources de lumière artificielle, les étoiles sont de moins en moins visibles. Fin décembre, le gouvernement a néanmoins annoncé de nouvelles mesures pour limiter la pollution lumineuse. En perturbant l’alternance naturelle du jour et de la nuit, qui est essentielle à la synchronisation de l’horloge biologique des êtres vivants, la pollution lumineuse a en effet des effets délétères sur la santé humaine et la biodiversité.

 

Outre ses conséquences sur le vivant, la croissance exponentielle des éclairages risque également de nous priver de l’observation d’un patrimoine culturel précieux : le ciel nocturne. Fondamentale dans l’histoire philosophique, poétique et artistique de l’humanité, l’observation astronomique est aujourd’hui en péril: selon l’Association Nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes (ANPCEN), moins de 10 étoiles sont aujourd’hui visibles au centre des grandes villes, contre environ 7000 dans un ciel sans pollution lumineuse.

 

Retrouvez une série d’articles sur la pollution lumineuse dans le dossier “La nuit en voie d’extinction” du numéro 29 de Socialter, disponible sur notre boutique.



Les mesures annoncées par le gouvernement répondent donc à des enjeux sanitaire, environnemental et culturel cruciaux. Elles complètent celles annoncées dans un arrêté de 2013 régulant l’éclairage nocturne des bâtiments non résidentiels (vitrines, façades et bureaux non-occupés).

 

Désormais, de nombreuses autres sources de pollution lumineuse, comme l’éclairage des équipements sportifs, des parcs et jardins, des chantiers, ou encore des installations destinées à la mise en lumière du patrimoine, feront l’objet d’une réglementation. Le texte fixe notamment des limites d’éclairement après cessation de l’activité et érige des normes relatives à l’orientation, au type de lumière et à la quantité de lumière émise par les installations lumineuses.

 

Météorite et Voie Lactée, © Mike Lewinski 


Des efforts à poursuivre



«C’est un progrès d’avoir désormais un texte attendu sept ans se réjouit Anne-Marie Ducroux, présidente de l'Association Nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes (ANPCEN). «Ce qui nous convient bien, c’est que le texte mentionne qu’il faut agir par la conception et par les usages, donc par exemple la durée d’éclairement, avant de se préoccuper des questions de matériel, c’est à dire de dépenses publiques par investissement dans du matériel différent,» précise-t-elle.

 

Ces mesures permettraient-elles donc de mettre fin aux nuisances lumineuses ? «C’est dommage qu’il n’y ait que des réglementations et pas de plan d’action tempère Anne-Marie Ducroux. «Ce que nous déplorons, c’est que pour avoir ce texte il a fallu faire un recours devant le Conseil d’État, et c’est un peu dommage d’avoir dû en arriver là. Nous regrettons également que ce texte ne vise que les collectivités, alors que la situation de suréquipement et de suréclairage qui en découle depuis 25 ans a largement été créée aussi par la responsabilité des prescriptions de fabricants, installateurs, concepteurs, intermédiaires… Or l’arrêté ne prévoit rien pour ces acteurs,» déplore-t-elle.   

 

Si elles représentent une avancée significative, ces mesures ne signent donc pas la fin de la lutte contre la pollution lumineuse.«Nous allons continuer à recommander des mesures d’extinction de l’éclairage public aux heures creuses, ce qui n’est pas dans l’arrêté,” assure Anne-Marie Ducroux. «Il ne s’agit pas d’éteindre à 19 heures ou aux heures où les Français ont besoin d’éclairage,» précise-t-elle. «Nous allons également continuer à promouvoir les valeurs techniques qui sont les nôtres et qui ne sont pas dans l’arrêté, par exemple sur les températures des couleurs de lampes ou sur l’orientation de la lumière: il ne va pas assez loin, alors qu’il y a déjà des communes qui font mieux

 


© Ricardo Faria 


Les communes, fers de lance de la lutte contre la pollution lumineuse ?



En matière de lutte contre les nuisances lumineuses, de nombreuses communes prennent en effet les devants: selon l’ANPCEN, 12 000 communes françaises pratiquent déjà une extinction en milieu de nuit, réduisant ainsi les éclairages superflus. 574 communes sont également labellisées « Villes ou villages étoilés » par l’association. Ce label, valable quatre ans, récompense les communes engagées dans des démarches volontaristes d’amélioration de la qualité de l’environnement nocturne.

 

De nombreux moyens d’actions sont en effet à disposition des communes pour limiter la pollution lumineuse sur leur territoire. Outre le recours à des solutions techniques, notamment à travers le choix de lampadaires à lumière ambrée, l’installation de détecteurs de présence ou encore l’adoption de lampadaires orientant la lumière vers le sol, à la différence des luminaires “à boules” émettant de la lumière dans toutes les directions, les municipalités peuvent également agir par les usages en réduisant directement la durée d’éclairement.

 

C’est le cas à Saumur, commune de 27 000 habitants située dans le Maine-et-Loire. Depuis 2007, la mairie s’efforce de n’éclairer la ville que lorsque cela s’avère réellement nécessaire : l’éclairage public y est éteint à partir de 1h du matin (dès 23h sur les parties rurales et certains axes routiers), et ce jusqu’à 6h. L’éclairage des monuments historiques est également limité à la période estivale. Avec, à la clé, de nombreux bénéfices, tant sur le plan environnemental qu’économique: selon Lambert Creuxlebois, directeur du cabinet des élus, de la communication et du Château de Saumur, ces mesures auraient permis de diminuer la consommation énergétique des services publics de la ville de 50%. Soit une économie de plus de 80 000 euros par an, selon Anne-Marie Ducroux, et ce sans noter d’accroissement de la criminalité, argument contestable régulièrement invoqué contre les mesures d’extinction de l’éclairage.



© Mike Lewinski 


Une connaissance encore trop partielle des conséquences de l’éclairage



Quoique l’extinction de l’éclairage public aux heures creuses puissent s’avérer avantageuse, les communes qui la pratiquent demeurent encore une minorité. Si le coût des investissements nécessaires au changement de matériel peut freiner la mise en place de telles mesures, le manque de sensibilisation des élus aux conséquences de la pollution lumineuse peut également être un obstacle, selon Anne-Marie Ducroux. «Les élus ne connaissent souvent pas cette question sous tous ses angles, ils ont donc une approche trop partielle et trop segmentée ; ils peuvent faire des choix contradictoires entre un enjeu et un autre, parfois sans le savoir analyse-t-elle.

 

Le recours croissant aux lampes LED par les municipalités est un bon exemple de cette vision fragmentaire de la pollution lumineuse, s’attachant à certains aspects de la problématique sans prendre en compte ses conséquences globales. Très prisées par les pouvoirs publics en raison de leur moindre coût énergétique, l’installation de LED peut en effet augmenter paradoxalement la pollution lumineuse en créant un effet rebond: «avec la perspective d’économies d’énergie, les élus demandent souvent plus de points lumineux ou ne baissent pas suffisamment la puissance installée ; résultat : leur commune émet encore plus de lumière explique Anne-Marie Ducroux. Les LED s’avèrent également néfastes pour le vivant, et en particulier les insectes, en raison des longueurs d’onde bleues qu’elles propagent.


La pédagogie s’avère donc essentielle à la lutte pour la préservation du ciel nocturne. Transformer profondément notre rapport à la lumière l’est tout autant, selon la présidente de l’ANPCEN. «L’électrification des campagnes était un enjeu du XXe siècle, il est désormais atteint,» constate-t-elle. «Les enjeux de ce nouveau siècle sont le climat, la biodiversité, les questions de santé environnementale, l’énergie. Il faut que l’éclairage du 21e siècle réponde aux enjeux actuels.»

 

© Photo de couverture : Long Zheng, Ciel étoilé à l'église du Bon-Berger, Nouvelle Zélande 

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