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Fabriquer, transformer, résister... La websérie qui déconstruit le mouvement maker

En 8 courts épisodes, la websérie documentaire «Fais-le toi-même !» présente le mouvement maker à travers les portraits d'artistes qui repensent les normes. Son réalisateur, Adrien Pavillard, revient sur les origines d'une tendance.

Faire de la musique électronique avec sa Game Boy, parcourir un livre infini ou peindre des calligraphies en LED ; les makers ont plus d’un tour dans leur sac pour réenchanter le monde. Ils sont passionnés de datas, hacktivistes ou musiciens, et partagent la même passion : celle de la bidouille.

En 8 épisodes de 6 minutes, la websérie «Fais-le toi-même !» brosse le portrait de ces artistes des temps modernes. Pour sa deuxième réalisation du genre, produite par Bridges et Arte Creative, le documentariste Adrien Pavillard a ainsi posé sa caméra dans les fablabs et ateliers partagés, et même dans la rue, lieu d’expression privilégié des makers.

Pop, ludique et décalée, c’est une ode à ce mouvement mondial qui s’enracine à l’échelle locale, dans lequel chacun trouve sa place et se réalise. Rythmée du flow soigné du rappeur Rocé, la série se présente comme 8 capsules d’inspiration.



Adrien Pavillard : « Il faut arrêter de réfléchir, lâcher prise et s'y mettre »



Réalisateur, à l’opposé de beaucoup de ses illustres aînés, Adrien Pavillard est devenu documentariste après avoir été pubard. Fan de Philip K. Dick et du Grand détournement, il est surtout un slasheur-né qui, avant, était capable de courir un marathon. 
Après «Poilorama», «Fais-le toi-même !» est sa deuxième websérie documentaire.

Pourquoi cette websérie aujourd’hui ?

L’idée de départ vient d’une réflexion personnelle : la primauté du savoir sur le faire qui nous est inculquée dès le plus jeune âge. On nous demande d’apprendre beaucoup avant de faire. Pourtant je pense qu’il est très important, d’un point de vue de développement personnel, d’agir, de créer du tangible, car cela nous apporte une satisfaction profonde, un sentiment d’être utile. Dans un monde de plus en plus désenchanté, sur lequel on a l’impression de ne pas avoir prise, le mouvement maker véhicule justement ces valeurs : faire, essayer, tester, être curieux… Il y a aussi une dimension sociale et politique qui s’ajoute à cela : le mouvement maker remet en question les modes de production et de consommation, il favorise le lien social, le local, le partage.


Quel est l'état de la tendance maker actuellement en France ?

On voit clairement en France un intérêt grandissant pour le DIY, les fablabs, les tiers-lieux, de la part des citoyens, des pouvoirs publics, des grands groupes industriels, des médias… mais à mon avis c’est un mouvement que l’on retrouve un peu partout, à des échelles différentes selon les pays. Le fait que le mouvement maker s’appuie en grande partie sur le web lui confère une dimension «extra-nationale». Cet engouement s’explique par le fait que le mouvement maker propose une alternative, un nouveau modèle d’apprentissage, de fabrication, d’échange, de propriété intellectuelle, de rapport à la technologie… qui correspond à un désir des individus de sortir d’un modèle unique et standardisé. C’est une réaction normale face à une mondialisation qui tend à noyer notre individualité.


Quel rôle jouent les makers dans la redéfinition de nos sociétés ?

Il n’y a pas un modèle unique de maker. Ce qui est plus un hobby pour certains – et il n’y a rien de péjoratif là-dedans – devient une forme de militantisme, d’hacktivisme pour d’autres. Ce sont ces derniers qui, en questionnant l’usage que l’on nous impose des technologies, en redéfinissant le rapport entre innovation et propriété intellectuelle, permettent d’engager des réflexions sur le futur de notre modèle économique et social que la plupart des gens pensent éloignées d’eux, réservées à une élite… alors que pas du tout ! Quand en plus ils sont artistes, comme la plupart des intervenants de la série, ils amènent une dimension plus émotionnelle, plus instinctive, plus poétique et même humoristique à ces questions, et peuvent ainsi toucher un public plus large.



Sommes-nous tous des makers dans l'âme ?

Si tout le monde n’a pas forcement envie de fabriquer soi-même ses meubles, ses objets connectés ou ses interfaces, il semble qu’il y ait un plaisir à faire de ses mains qui se retrouve chez beaucoup. Après tout, faire quelque chose soi-même, c’est se sentir utile, capable, mais c’est aussi laisser une trace. Tout le monde peut être un maker mais il faut d’abord le vouloir. C’est une question d’attitude : il faut arrêter de trop réfléchir, lâcher prise, accepter que l’on va devoir apprendre pas mal de choses et s’y mettre. C’est une façon de voir qui devrait être là dès les premières années d’école : apprendre aux enfants le plaisir de faire, puis d’apprendre pour pouvoir faire encore plus. Et puis, une des forces du mouvement maker, c’est le partage de connaissances et de savoir-faire, donc on n’est jamais vraiment seul.


Le maker a-t-il sa place dans l'art contemporain ?

Je pense que les artistes vont s’approprier les technologies et savoir-faire des makers car ce sont les outils d’aujourd’hui – tout comme on a pu le voir avec la photographie ou la vidéo. Ce qui fait la différence entre l’artiste et le maker, c’est le point de vue, la volonté non seulement d’utiliser la technologie qui nous est offerte mais surtout de la questionner, de questionner son utilité, l’appétence grandissante que chacun a de ces outils, les comportements individuels et sociaux qui les accompagnent… Ils mêlent le fond et la forme : ils fabriquent pour interroger la fabrication.


«Fais-le toi-même !» à voir sur le site d’Arte Creative

 

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