Grand entretien

Eva Illouz « L'amour est au coeur de la modernité »

Photos : Cha Gonzalez

De l’euphorie du premier date Tinder à la tristesse des rencontres vides s’écoule parfois le temps d’un claquement de doigts. Au-delà du vague à l’âme ressenti par tous ceux qui ont le swipe triste, la marchandisation de nos relations amoureuses est un fait social majeur, dont nous peinons encore à mesurer les conséquences. Comment penser une société dans laquelle les liens sociaux les plus intimes s’évaporent ? Sommes-nous condamnés à vivre dans un roman de Michel Houellebecq ? Nous avons pu en discuter avec Eva Illouz, qui propose depuis de nombreuses années une sociologie des émotions associée à une analyse critique du capitalisme contemporain.

Vous vous intéressez à des sujets habituellement attachés à la sphère de l’intime (les émotions, l’amour), qui n’ont pas toujours été considérés comme des objets d’enquête légitimes. Comment approcher ces objets avec un regard sociologique ? 

La question de la légitimité que vous posez est liée au fait qu’il s’agit d’objets traditionnellement rattachés au féminin. Quand Michel Foucault écrit sur la sexualité, la légitimité de son objet n’est pas remise en question. En revanche, cela ne va pas de soi lorsqu’une femme écrit sur l’intime : elle parle au fond de ce qui est socialement inférieur au politique et à l’économique. Il existe bien sûr une hiérarchie des sujets de recherche. Les émotions et l’amour sont devenus – heureusement – des objets non seulement légitimes mais centraux des sciences sociales. Ils présentent aussi des défis méthodologiques très intéressants. En effet, il faut les arracher au champ de la psychologie et à une idéologie très forte qui s’obstine à voir les émotions comme un champ de l’expérience essentiellement subjectif et ancré dans l’enfance. Le défi pour le sociologue est de penser les émotions comme le dialogue que l’individu entretient sotto voce avec le monde social. C’est précisément ce qu’a fait Émile Durkheim en proposant le concept d’anomie. Il s’est emparé d’un concept initialement rattaché à la psychologie – le suicide – pour lui apporter une explication sociologique. Je m’inscris dans cette même démarche....

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