Paradoxe et petits gestes

Écocitoyen : votre style de vie est-il si vert ?

Illustration : Jean-Michel Tixier

Trier ses déchets, rouler à l’électrique, manger bio… telles sont les incitations destinées à « sauver la planète » du désastre écologique. Mais ce traitement individuel du problème écologique est critiquable à plusieurs égards. Tour d'horizon en 4 portraits.

Trier ses déchets, rouler à l’électrique, manger bio, éteindre la lumière et baisser le chauffage… telles sont les incitations gouvernementales, médiatiques mais aussi publicitaires destinées à « sauver la planète » du désastre écologique. Elles dessinent la conduite à tenir et les bons gestes que tout écocitoyen responsable se doit d’adopter pour réduire son empreinte écologique. Mais ce traitement individuel du problème écologique est critiquable à plusieurs égards. 

Article issu de notre numéro 62 « L'écologie, un truc de bourgeois ? », en librairie et sur notre boutique.

Premièrement, les habitudes et modes de vie sont encadrés par des contraintes structurelles (infrastructures de mobilité, logement) qui relèvent de choix collectifs et politiques. Deuxièmement, il existe une contribution très inégale des différentes catégories de ménages et d’individus à l’empreinte écologique globale, selon leur classe sociale et leur lieu de résidence. C’est là le « paradoxe de l’écocitoyenneté » développé par le chercheur Jean-Baptiste Comby : l’adhésion proclamée à l’écocitoyenneté des classes supérieures s’accommode de leur style de vie polluant, tandis que les modes de vie des classes populaires, en réalité plus soutenables, sont vus comme anti-écologiques. La norme écocitoyenne dédouane la surconsommation ou les voyages en avion, en même temps qu’elle délégitime les pratiques des classes populaires.

Des chercheurs ont étayé statistiquement cette analyse en étudiant les styles de vie des Français. Ils montrent que la frugalité ou l’opulence des ménages (nombre et fréquence d’achats d’équipements, consommation énergétique du logement, type de vacances, nombre de voitures, etc.) est déterminée par des disparités de revenus et par le lieu de résidence. Quant aux pratiques écocitoyennes (achat d’aliments issus de l’agriculture biologique et locale, tri des déchets, etc.), elles sont fortement liées au niveau de capital culturel et peuvent être présentes chez les plus gros pollueurs. En associant les styles de vie aux groupes sociaux correspondants, ils ont élaboré quatre « styles d’empreinte environnementale », que Socialter a repris à travers quatre profils types imaginés (toute ressemblance avec une personne de votre entourage serait tout à fait fortuite). Un poil caricaturaux, ils montrent les contradictions et limites du discours dominant sur l’écologie. 

Thibaut Bobo : Léco-cosmopolite de la génération climat 


« Ce qu’il faut, c’est taxer les pollueurs et les plus riches. Ils sont en train de nous voler notre futur… Pour oublier un peu mon éco-anxiété je pars 15 jours marcher dans les Andes. »

Profil socio Thibaut a 29 ans et vit seul à Paris dans un T2. Sensible aux questions du climat depuis ses études supérieures, il a démarré comme chargé de projet en développement durable pour concilier vie pro et quête de sens. Il vit avec environ 2 500 euros par mois, ce qui lui laisse une petite marge pour les sorties et loisirs après avoir payé son loyer.

Déplacements Thibaut est depuis deux ans mordu de vélo, qu’il utilise tous les jours pour aller au travail, et prend les transports en commun quand la météo l’en empêche. Pour les vacances, il a prévu d’aller en Amérique du Sud avec son ami d’enfance, un voyage dont il rêve depuis longtemps. Il culpabilise un peu pour le climat, mais il compense bien en étant un éco-citoyen modèle le reste de l’année, non ?

Équipements et consoThibaut ne s’encombre pas en électroménager vu le manque de place dans son appartement, il fait sa vaisselle à la main et lave son linge au lavomatique du quartier. Pour les courses, c’est 100 % bio, avec le moins d’emballage possible. Souvent de sortie avec ses amis avec qui il écume les adresses végé (il a arrêté la viande depuis trois ans), il sait que son penchant pour les mangues et les avocado toasts n’est pas neutre écologiquement. Personne n’est parfait… Conscient de son empreinte, il tente d’être le plus économe et frugal possible sur le reste.

Manon Géji : La frugale populaire


« J’ai déjà du mal à boucler mes fins de mois, alors lachez moi avec vos écogestes ! Sauver la planète, je veux bien, mais faudrait aussi sauver l'hôpital public. »

Profil socio Priscilla a 25 ans et vit avec son compagnon et leur enfant de 2 ans dans la banlieue d’une grande métropole, où ils louent un HLM assez loin de son travail. Avec son salaire d’aide-soignante et le RSA, ils gagnent à peine 2 000 euros par mois.

Déplacements Priscillia utilise tous les jours sa voiture vieille de dix ans pour aller travailler. Elle se serait bien passée de ces trajets, mais les transports en commun dans sa banlieue, c’est une vraie galère. Quand le prix du carburant a augmenté, elle a participé au mouvement des Gilets jaunes et vu tous les médias la taxer d’« anti-écolo ». Comme si elle aimait ça, rouler au diesel. Le gouvernement aurait dû taxer le kérosène, ça c’est sûr que ça l’aurait moins affectée !

Équipements et conso Le jeune couple a récupéré les meubles et la télé des grands-parents de Lucas, décédés récemment. L’absence de four limite les possibilités culinaires mais, avec ses 2 heures de trajet par jour, ce n’est pas comme si Priscilla avait le temps de préparer des plats élaborés. Au supermarché, elle regarde surtout les prix et passe son chemin sur les produits bio hors de prix qui l’exhortent à faire attention à la planète et à sa santé. Avec son budget serré, elle n’achète presque rien de neuf et fait durer ses objets : la « sobriété », elle y est déjà contrainte… Sauf pour la viande, ils ne comptent pas s’en passer tout de suite avec Lucas.

Monique Petipas : Retraitée colibri et « éco-consumériste »


« Je vous ai déjà raconté la fable du colibri ? Si chacun faisait sa part, à son niveau, on n’en serait pas là. Limiter le gaspi, consommer local et bio, faire soi-même… c’est du bon sens. Surtout avec tous les risques écologiques et les pollutions qui nous menacent. »

Profil socio Monique a 65 ans et a pris sa retraite après une carrière dans l’enseignement. Cette militante écolo de la première heure habite avec son mari Patrick dans une coquette maison de petite commune rurale. Grâce à leurs deux pensions combinées, ils vivent avec 3 500 euros par mois, de quoi mener une fin de vie confortable, d’autant qu’ils n’ont que très peu de dépenses extra.

Déplacements Depuis qu’ils ne travaillent plus, Monique et Patrick se déplacent moins, même si le mode de vie à la campagne les oblige à utiliser leur voiture, notamment pour se rendre chez les producteurs de légumes du coin ou le médecin. Ayant arrêté les voyages en avion il y a un moment, ils ne vont jamais très loin, sauf pour aller voir les petits-enfants en train.

Équipements et consoMonique a enfin le temps de s’occuper de son potager, elle qui aime savoir d’où vient ce qu’elle met dans son assiette – surtout depuis les pépins de santé de Patrick. La maison y est propice : grand jardin et cuisine toute équipée, elle prépare des bocaux de légumes lacto-fermentés, trie ses déchets et fait son compost. Quand elle ne cultive pas son jardin, Monique agit au niveau local en militant contre les projets écocidaires ou en formant les autres aux gestes écolos qu’elle a toujours eus.

Bruno Yolo : Le consumériste assumé


« On ne va pas s’empêcher de vivre quand même ! La planète se réchauffe ? On trouvera bien des solutions grâce au progrès technique. Inutile de se mettre aux petits gestes ici alors que les Chinois et les Américains polluent comme des dingues… »

Profil socio Bruno Yolo a la quarantaine et habite avec sa femme Catherine et ses deux enfants dans un quartier pavillonnaire cossu. Ils y ont acheté une maison de 6 pièces avec salle de jeux et jardin. Il faut dire qu’ils peuvent se le permettre : avec son poste de directeur commercial d’une grande industrie agroalimentaire, ils ont des revenus très confortables. Et puis ce n’est qu’à 2 heures de route de la maison de campagne familiale

Déplacements À la suite de sa promotion, Bruno a craqué pour un SUV tout équipé de marque allemande (la sécurité avant tout !). Il gardera l’ancienne voiture pour Catherine, il y a de la place dans le garage. Pratique pour les courses, les activités des enfants et les vacances… Pour les vacances aux Maldives, en Thaïlande ou le prochain week-end prolongé à Marrakech, ce sera évidemment en avion !

Équipements et conso N’étant limité ni par son budget ni par sa conscience écolo, Bruno est suréquipé en électroménager connecté. Côté dressing, il n’hésite pas à commander des vêtements neufs (de marque) sur Internet. Et pourquoi garder l’iPhone 14 quand on peut se procurer le 15 ? Il en profitera pour reprendre une tablette. Pour les écogestes, Bruno n’y fait pas vraiment attention, malgré ce que coûte le chauffage de la maison. Certes, dans sa famille ils trient leurs déchets…

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