A compléter

Cyril Dion: "Le changement ne viendra ni du grand soir ni de l'homme providentiel."

Il a co-fondé le mouvement citoyen Colibris et attiré 1 million de spectateurs en salles avec un documentaire sur la permaculture, l'éolien et l'économie circulaire. Mais quid du collaboratif au service de l'environnement? Nous sommes allés nous confronter au regard critique de Cyril Dion.

[Photo: Augustin Le Gall]

Presque deux ans après la sortie du film Demain, quel regard portez-vous sur son succès? Engouement passager ou réel marqueur de changement?

Depuis la sortie du film, nous sommes allés à l’ONU et au Parlement européen, nous avons rencontré des présidents de partis politiques, des chercheurs. Nous avons été contactés par des grandes banques, des multinationales, des gens de la grande distribution qui nous ont dit : «Vous nous tapez dessus. La réalité n’est pas si simple, mais on a envie de vous aider et de faire partie du changement.» Et ça, ça a réalisé nos rêves les plus fous parce qu’on avait envie de faire un film qui sorte du cercle militant. Je suis engagé sur ces questions depuis 2006 et je crois que le film marque une époque. Jamais on n’aurait rempli les salles comme cela auparavant en parlant transition écologique, création monétaire, éducation innovante ou changement de modèle démocratique.


Êtes-vous plus optimiste qu’après la lecture de l’étude alarmiste qui ouvre votre film?

Non. Je vois que les phénomènes s’accélèrent et qu’on est en-deçà de ce qu’il faudrait faire. Toutes les études qui tombent en ce moment sont dramatiques: en 2050, il pourrait y avoir, en termes de poids, plus de déchets dans l’océan que de poissons, et il est certain que nous ne contiendrons pas le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés. Mais ce qui m’enthousiasme, c’est que la phase de déni collectif s’érode. La catastrophe est souvent la seule chose qui fait bouger les gens. On a tenté de la remplacer par la créativité et l’enthousiasme, et de construire un autre récit. Il y a désormais une prise de conscience de la nécessité d’un changement global.


Pensez-vous que le numérique soit un outil adéquat pour faire germer ces graines de changement? On voit sortir beaucoup d’applications pour favoriser un mode de vie plus écolo.

C’est un outil formidable pour permettre à des gens de s’organiser et de se mobiliser d’une façon différente. Pour autant, on voit bien que la dématérialisation de nos vies est un trompe-l’œil écologique. Une étude du CNRS montre qu’un courriel peut être plus polluant qu’un courrier papier. L’utilisation frénétique des technologies implique une débauche d’énergie pour stocker les données dans les serveurs. Tout cela paraît magique et sans impact, mais il faut beaucoup de matériel pour dématérialiser. Il y a un renouvellement de plus en plus rapide des téléphones, ordinateurs et tablettes, encouragé par des mécanismes d’obsolescence programmée, de modes et de standards qui évoluent. Je m’inquiète de l’addiction technophile dans laquelle notre espèce s’engage. On a préféré montrer des solutions low-tech dans le film Demain, en se disant «qui peut le plus peut le moins».


Les pratiques collaboratives, en mutualisant les ressources, ne font-elles pas partie de la solution?

Je suis partagé. Il y a une étude de l’ancien vice-président de General Motors qui montre que pour une mobilité égale on pourrait réduire de 80 % le nombre de voitures en les remplissant mieux grâce à des applications. Super. Mais si le numérique dont on a besoin pour cela fait exploser notre consommation d’énergie, c’est le serpent qui se mord la queue. Il faut faire les choses de façon plus intelligente à tous les niveaux et entretenir un rapport plus durable à la technologie. Je pense au Fairphone dont on peut changer les pièces pour le faire évoluer sans avoir à remplacer tout l’appareil. Il faut aussi des logiciels et des applications moins gourmands en énergie. Ainsi, on pourra économiser du temps et de l’énergie, comme dans le cas du covoiturage. Mais pour l’instant, j’ai l’impression qu’on se contente de dire que le numérique va résoudre tous nos problèmes sans prendre en compte son empreinte écologique.

Et tous ces agriculteurs qui se tournent vers le financement participatif, ou trouvent des débouchés grâce à une plateforme de circuit court?

Cela les aide, bien sûr! Il y a La Ruche qui dit Oui!, les supermarchés coopératifs type La Louve à Paris, mais également les Amap, qui préachètent les récoltes des agriculteurs dans une logique de solidarité militante, ou tout simplement les marchés paysans. Je crois à la diversité des solutions pour qu’agriculteurs, revendeurs et clients puissent tous y trouver leur compte. Il faut néanmoins avoir conscience que les solutions numériques ne peuvent pas convenir à tous les agriculteurs. Le risque, c’est de leur demander d’être geek, entrepreneurs, distributeurs et communicants, en plus de leur métier déjà difficile. C’est pour cette raison qu’il est important que ceux qui créent les plateformes aient aussi un pied dans l’agriculture. Par exemple, avec son association Fermes d’Avenir, Maxime de Rostolan a lancé BlueBees, une plateforme de crowdfunding dédiée aux projets agricoles durables.


On voit aussi que la thématique du zéro déchet a progressé dans le débat depuis quelques années, et que plusieurs plateformes se lancent dans la lutte contre l’obsolescence programmée.

C’est un sujet parti de la sphère écologiste qui gagne aujourd’hui le grand public et de plus en plus de gens s’engagent dans ce mode de vie. Mais nous sommes dans une société tellement complexe que parfois une bonne idée, au bout de la chaîne, a un impact écologique négatif. Pour éviter ces effets boomerang, une bonne démarche zéro déchet doit être systémique et globale, comme celle de Pocheco, qui fabrique des enveloppes en valorisant ses propres déchets. L’exemple le plus impressionnant, que nous présentons dans le film, est celui de la ville de San Francisco qui recycle 80 % de ses déchets. C’est d’ailleurs drôle de s’inspirer des États-Unis sur la question, mais c’est parce qu’ils sont aujourd’hui obligés de trouver des solutions aux problèmes environnementaux. De la même manière, je pense que la Chine nous donnera des leçons sur le renouvelable d’ici quelques années!

Justement, comment voyez-vous la transition vers le renouvelable en France : planifiée à la chinoise, ou citoyenne et coopérative comme en Allemagne?

Les deux logiques sont interdépendantes et complémentaires. En Allemagne, il a fallu que des leaders comme Merkel soient parties prenantes pour accélérer le processus de transition vers le renouvelable. Mais en même temps, les législations sont arrivées parce que les gens se sont bougés, ont fait du lobbying, créé des coopératives. Au Danemark, cela a commencé par des coopératives citoyennes dans l’énergie éolienne, puis il y a eu collaboration avec de grandes entreprises. Le parc éolien de Middelgrunden à Copenhague est possédé à 50 % par des citoyens et 50 % par Dong Energy, le plus grand opérateur d’énergie danois, dans lequel l’État à une participation. En France aussi, on ne va pas se débarrasser d’EDF comme ça. Il faut le faire travailler avec des citoyens et des acteurs tels que Enercoop, coopérative d’énergie 100 % renouvelable ou Énergie partagée, qui accompagne et finance des projets d’énergie renouvelable à l’échelle locale.


Il y a quand même un dilemme entre attendre que le changement vienne d’en haut ou changer individuellement.

Tout à fait. Il y a une tendance chez les militants écologistes à ne pas vouloir entrer en politique pour ne pas se salir les mains. Mais il faut arrêter de croire que les citoyens sont les gentils et que, par la transformation des consciences, un mouvement va émerger et tout changer. Ça n’arrivera jamais, si on fait un tant soit peu preuve d’objectivité quant à la nature humaine. De même, il n’y aura pas de grand soir, avec un candidat formidable sur son cheval blanc qui va métamorphoser l’Assemblée nationale. Ce que l’on peut espérer de façon réaliste, c’est qu’à un moment 20 % de la population change son comportement pour que des sujets deviennent centraux dans la conversation sociétale. À partir de là, des responsables prêts à porter ces idées émergeront. Ensuite, des évènements graves vont se produire et amplifier la prise de conscience. À ce moment-là, des partis politiques anciennement conservateurs vont vouloir récupérer ces électeurs comme ils le font avec le FN aujourd’hui. Ça ne sera ni blanc ni noir.


Avez-vous évolué sur cette question?

À force de rencontrer des responsables politiques et des patrons de très grandes entreprises, je suis peut-être moins binaire. Je me suis confronté à la complexité et cela a enrichi ma réalité militante.


Vous êtes demain président de la République. Quelles sont les grandes mesures que vous prenez pour accélérer la transformation de notre société?

On va justement lancer une campagne avec le mouvement Colibiris pendant les élections présidentielles et on a élaboré plusieurs clés de voûte en ce sens. D’abord, basculer la fiscalité du travail vers le carbone libèrerait de l’énergie pour l’entreprenariat et le travail. Cela coûterait moins cher d’embaucher des gens pour faire des choses utiles tout en rendant les énergies fossiles non compétitives. Assez mécaniquement, l’économie se tournerait vers le renouvelable. Ensuite, réorienter les subventions aujourd’hui dirigées vers l’agriculture industrielle, pour favoriser le développement d’une agriculture locale biologique et faciliter la transition pour les agriculteurs qui veulent s’y convertir. Il faudrait également un revenu de base important, autour de 1 000 euros. On pourrait ainsi passer d’une activité subie à une activité choisie, se concentrer sur les choses utiles et réduire les inégalités qui deviennent très dangereuses. Enfin, libérer la création monétaire pour qu’elle ne soit plus fondée sur la dette.


En attendant ce grand jour, quels sont vos projets?

J’espère pouvoir ralentir un peu le rythme ! J’ai fait une tournée dans 14 pays et 82 villes. Je termine un roman qui va paraître chez Actes Sud l’année prochaine. J’écris un autre film, la suite de Demain : une fiction sur ce qui va se produire durant les dix prochaines années et qui s’intéresse particulièrement aux mécanismes démocratiques. J’ai besoin de comprendre ce qui bloque le changement aujourd’hui pour raconter comment il pourrait arriver de façon réaliste.

MINI BIO

1978 : naissance à Poissy (Yvelines).

2000 : École d’art dramatique Jean-Périmony

2003 : coordinateur de projets pour la Fondation Hommes de Parole

2007 : crée avec Pierre Rabhi le Mouvement Colibris

2012  : cofonde le magazine Kaizen et la collection « Domaine du Possible » aux éditions Actes Sud

2015 : coécrit le film Demain, César du meilleur film documentaire



Interview initialement parue dans le magazine hors-série Idée Collaborative 2016, publié par Socialter en partenariat avec la Maif. 

 

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