Fantasmes et mythes

Derrière les préjugés, des araignées fascinantes

Alors que la moitié des êtres humains frémissent à leur vue et que la presse relaie des morsures fantasmées, les spécialistes des arthropodes luttent contre les peurs et mythes entourant ces animaux en majorité inoffensifs.

Le dégoût, l’aversion, voire l’antipathie ou la violence… Les humains ont tant de façons de rejeter les autres vivants qu’eux. Cette hostilité s’exprime jusqu’à la peur et la phobie. C’est parfois le cas avec de bien communs arthropodes : les araignées. 30 à 50 % des adultes en auraient peur, 2 à 5 % de la population serait carrément phobique(1). Et comme plusieurs espèces d’araignées aiment les lieux abrités et vivent avec plaisir dans nos maisons, on assiste souvent à des scènes de panique, voire à des éliminations d’individus à huit pattes à coups de chaussure de bipède. Comment expliquer ces sombres sentiments ?

Article de notre n°69 « Éducation populaire », Disponible sur notre boutique.

Dans la mythologie grecque, une jeune femme appelée Arachné ose défier la déesse Athéna à un concours de tissage. Son orgueil lui vaut d’être transformée en araignée, associant à jamais ces créatures à la punition divine. Le fil que tisse l’araignée est par ailleurs représenté, dans bien des légendes, comme une retorse sournoiserie – inventée pour capturer des victimes innocentes – plutôt que comme une prouesse technique ou un coup de génie de l’évolution. Ces représentations perdurent : pensez à Harry Potter ou au Seigneur des anneaux.

Ces représentations sont totalement erronées. Axel Hacala, post-doctorant spécialiste des araignées, décrit : « Sur les 53 000 espèces connues, moins d’une vingtaine sont dangereuses et celles-ci vivent pour la plupart en Australie. » Par ailleurs, explique-t-il, « les crochets des araignées [avec lesquelles elles tissent, NDLR] sont pour elles un ustensile de cuisine, pas du tout une arme ». Imaginez-vous vous défendre face à un ours avec une casserole. Christine Rollard, surnommée « Madame Araignée », est enseignante-chercheuse, aranéologue, au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris.

Elle confirme : « Plus de 70 % des araignées ne peuvent pas mordre la peau humaine. Ça leur est physiquement impossible. Et pour se faire mordre par celles qui le peuvent, il faut vraiment le chercher. » En 36 ans de carrière, Christine Rollard dit n’avoir été mordue qu’une fois, « par une espèce tropicale que j’embêtais depuis un bon moment ». Elle assure que les cas de morsures avérées en France métropolitaine sont extrêmement rares. Conclusion : le bouton matinal que l’on attribue aux araignées de nos maisons provient beaucoup plus sûrement d’un acarien, d’un moustique, d’une puce ou d’une punaise…

Reste les très nombreux articles de presse qui assurent que des humains ont été « piqués » (sic) – on devrait dire « mordus » – par des araignées aux noms inquiétants : « violoniste », « recluse brune », « araignée banane » ou « veuve noire ». Pour expliquer la multiplication de ces articles, Axel Hacala et son collègue Julien Pétillon, enseignant-chercheur en biologie et écologie à l’université Rennes I, ont contribué en 2022 à une étude internationale consacrée à la désinformation à propos des araignées(2). Leur étude montre que, sur 5 500 articles et contenus évoquant des morsures d’araignée, la moitié contenait des erreurs factuelles évidentes qu’un simple coup de fil à un ou une spécialiste aurait pu permettre d’éviter.

Malheureusement, ces erreurs sont amplifiées, répétées et partagées ad nauseam. Or, comme le rappelle Axel Hacala, « il a été prouvé qu’on protège surtout ce qu’on aime, c’est-à-dire que le statut de conservation d’une espèce dépend beaucoup de son charisme ou de sa beauté perçue par les humains ». Si les araignées bénéficient de bien moins de mesures de conservation que les libellules ou les papillons, si elles attirent aussi moins de naturalistes, amateurs comme professionnels, c’est très probablement à cause des craintes qu’elles suscitent.

Axel Hacala est bien placé pour le savoir : il a longtemps été phobique des araignées. Ce qui est un vrai problème quand on est naturaliste puisque « on n’est jamais à plus d’un mètre d’une araignée ». Son antidote face à la peur des êtres à huit pattes ? La connaissance. Il a d’ailleurs commencé par lire les ouvrages de Christine Rollard : « Je savais que je n’avais aucune bonne raison d’en avoir peur et ça devenait bloquant pour mes activités naturalistes. J’ai essayé de combattre la peur en apprenant à les connaître. J’ai réalisé qu’elles sont passionnantes, fascinantes. Elles sont devenues mon objet de recherche, j’étudie les araignées comme indicateur de l’état des écosystèmes. »

« Plus de 70 % des araignées ne peuvent pas mordre la peau humaine. Ça leur est physiquement impossible. »

Il n’est pas le seul à avoir été aidé par Christine Rollard. Cette dernière a co-écrit avec le psychologue Abdelkader Mokeddem un livre pour aider à combattre l’arachnophobie : Je n’ai plus peur des araignées ! (Dunod, 2018). Elle propose même chaque année, bénévolement, des rendez-vous individuels à plusieurs dizaines de phobiques : « En général, on a peur de ce qu’on ne connaît pas. Je prends donc entre deux et quatre heures pour informer, observer, décrire leur anatomie et bien sûr rappeler que ces animaux ne sont jamais problématiques sous nos latitudes. » La spécialiste ajoute : « On n’est pas obligé d’aimer les araignées mais il faut accepter qu’on vit à leurs côtés, qu’on le veuille ou non. »

À écouter ces spécialistes, on comprend vite qu’un autre rapport aux araignées est possible, et que cela commence par ce que l’on croit, pense et partage à leur sujet. On peut commencer par s’intéresser à leurs fascinantes toiles. L’occasion de découvrir que les araignées fileuses peuvent produire jusqu’à sept types de fils différents, chacun né de processus chimiques complexes et répondant à ses différents besoins : pour se rattraper, tisser une toile collante, produire un cocon…

En plus d’être le signe de leur ingéniosité extrême, ces structures peuvent, une fois dégradées, être réabsorbées par les araignées, créant ainsi un système d’autosuffisance filaire fascinant. Julien Pétillon invite de son côté à se réjouir du rôle de régulateur d’insectes des maisons que jouent les araignées, comme à casser certains mythes tenaces : « On entend très souvent dire que si l’on voit des araignées en automne, c’est parce qu’elles rentrent avant le froid. C’est faux. Elles sont à l’intérieur toute l’année mais deviennent plus visibles à l’automne pour permettre la reproduction. »

Identifier vos colocs à huit pattes

Et pourquoi ne pas s’amuser à un petit exercice d’écologie domestique : identifier nos colocs à huit pattes. Les plus courantes sont les tégénaires des maisons (Eratigena atrica) qui ont un corps brun de moins de 20 millimètres, les pattes sombres, longues et velues et qui tissent des toiles dans les coins de nos pièces. Vous reconnaîtrez aussi souvent des Pholques phalangistes, parfois appelées à tort « faucheux », reconnaissables à leurs très longues pattes fines et à leur corps cylindrique. Elles préfèrent tisser des toiles en nappe dans les coins et sous les plafonds.

« Le statut de conservation d’une espèce dépend beaucoup de son charisme. »

Malgré leur apparence fragile, ces dernières sont de redoutables chasseuses capables de capturer, emmailloter et mordre d’autres araignées comme les tégénaires. Et vous pourrez vous émerveiller en complétant ce bestiaire domestique d’espèces plus rares, et moins connues, comme celles du genre saltiques, capables de sauts impressionnants, notamment pour chasser, et reconnaissables à la répartition de leurs yeux qui leur assure un système visuel à 360 degrés. Ou encore les discrètes oonops, d’un rose orangé, ô combien passionnantes.

Cette démarche est d’autant plus nécessaire et intéressante qu’il nous reste « tant à découvrir » à propos des araignées, nous apprend Christine Rollard : « On est encore en train de décrire les espèces, on découvre à peine la diversité qui nous entoure. De ce fait, il est difficile d’évaluer la diminution des effectifs. »

La spécialiste indique que la liste rouge des espèces d’araignées n’a été publiée que fin 2023 et qu’elle nous apprend que « 170 espèces sont menacées sur notre territoire » ou que « 101 autres sont proches de l’être et se trouvent quasi menacées ». Logique puisque ces animaux prédateurs d’insectes sont exposés à la destruction et à la fragmentation de leurs habitats naturels comme à l’utilisation massive de pesticides et d’insecticides…

Des révélations qui nous invitent un peu plus à porter un regard neuf sur ces animaux à huit pattes et à repenser notre relation avec elles – non plus basée sur la peur, mais sur le respect et la curiosité. 

1. « Emotions Triggered by Live Arthropods Shed Light on Spider Phobia », Daniel Frynta et al. Scientific Reports, 2021.

2. « The Global Spread of Misinformation on Spiders », Stefano Mammola et al.Current Biology, 2022.

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