Portrait

Anonymes en première ligne : le quotidien d'un gérant de pompes funèbres

© Anton Darius

Dans cette série de portraits, Socialter s'intéresse à ceux et celles pour qui le COVID-19 ne signifie ni confinement, ni télé-travail, ni repos. Nous vous proposons une plongée dans le vécu de personnes dont le métier, parfois invisibilisé ou déprécié, les place pourtant en première ligne de l'épidémie. Aujourd'hui, nous vous partageons le portrait de Maurice*, gérant de pompes funèbres à Mulhouse.

La métropole de Mulhouse, dans le Haut-Rhin, est dans une situation critique depuis plusieurs semaines. Hôpitaux surchargés, manque de matériel de soin et d’espace pour accueillir et soigner les malades, le climat est sous haute tension. Mulhouse est l’une des villes les plus touchées : 577 décès ont été enregistrés depuis le début de l’épidémie. Des chiffres qui ont doublé, par rapport à l’année précédente à la même période, selon la rubrique de nécrologie du quotidien régional l’Alsace

La crise du coronavirus a chamboulé le quotidien de plusieurs corps de métier ; et si l’on pense souvent aux équipes soignantes, essentielles à la gestion de cette crise, l’on oublie ceux qui s’y trouvent à l’orée : les métiers du funéraires, des responsables d’agence aux thanatopracteurs ou encore les agents mortuaires qui chaque jour, dans l’ombre, subissent de plein fouet les conséquences de la pandémie.

Maurice est le responsable d’un service de pompes funèbres à Mulhouse. Dans le métier depuis 1998, il affirme « n’avoir jamais été préparé à une telle crise », du « jamais-vu », répète-t-il. Car depuis l’arrivée de la pandémie, le service doit gérer le double (voire le triple, selon lui) du nombre de décès habituels.


Une vulnérabilité passée sous silence 

Les corps inanimés, porteurs du virus, sont encore contagieux : c’est pourquoi les gestes barrières sont mis en place dès qu’un patient atteint du COVID-19 décède.

En revanche, ce que l’on sait moins, c’est que l’épidémie de coronavirus a modifié le processus de prise en charge de tous les défunts : « On procède à chaque intervention comme s’il s’agissait du COVID-19 », explique Maurice. La mise en bière (c’est-à-dire la mise en cercueil) est désormais immédiate, quelle que soit la cause présumée du décès. 

Et pour se protéger, « c’est la débrouille », d’après Maurice, qui affirme se procurer le matériel de protection via ses contacts personnels et son réseau. Pour les blouses, il fait appel à la communauté de motards dont il fait partie : « Mes amis se relaient pour nous fournir en combinaisons de pluie qui nous servent d'habits de protection. » Pour les gants et les masques, son entreprise passe par les circuits de solidarité de sa ville. Des services bénévoles gérés par des associations, car pour le moment, ni la ville ni le département ne fournissent d’aides aux entreprises funéraires.

Contrairement aux corps de métier liés à la santé, les employés des services funéraires ne sont pas considérés comme prioritaires pour l’approvisionnement en matériel de protection. Maurice et son équipe sont pourtant en première ligne de l’épidémie : « En plus du contact direct avec les défunts, nous employons des vacataires qui cumulent plusieurs activités et multiplient donc leur chance d’être en contact avec le virus. »

 

La suspension des cérémonies 

Le plus dur reste cependant le contact avec les familles, l’accueil et la gestion de la colère et de la tristesse : « On sert d’éponge un peu pour tout le monde. On est les punching ball, on essuie les non-dits… C’est aussi notre rôle, c’est normal, mais c’est parfois difficile à encaisser », confie Maurice. L’interruption brutale des rites funéraires est une situation « surréaliste ». « C’est la double peine pour les familles. En plus de la perte d’un être cher, on leur enlève la possibilité de se recueillir, de rendre hommage à leur proche et de se rassembler. » Car depuis l’annonce des mesures de confinement liées à l’épidémie : les églises ont fermé, les cérémonies sont restreintes à vingt personnes éloignées de plus d’un mètre, et les ornements et les soins sont suspendus, des conditions « affreuses », pour Maurice et son équipe, pour qui les mesures de distanciations sont parfois dures à imposer aux familles. 

« C’est aussi extrêmement compliqué pour les proches de déterminer qui seront les personnes présentes dans la chambre funéraire », ajoute Maurice, qui a en partie pour cette raison interdit cette étape selon lui « ingérable ». « Imaginez-vous perdre un parent, et ne pouvoir voir son visage qu’à travers une housse à moitié entrouverte, à plus d’un mètre de distance, sans pouvoir toucher vos proches à vos côtés... » 
 

Un nouveau cadre légal pour alléger les services funéraires

Face à la situation critique de certaines villes, des mesures ont été prises par le gouvernement : un décret du 30 mars 2020 prévoit ainsi d’autoriser à nouveau les dépositoires, des bâtiments qui servent de « dépôt temporaire des cercueils » avant l'incinération ou l’enterrement. Un moyen de répondre au manque de place des chambres funéraires. Les procédures administratives ont elles aussi été assouplies, au soulagement de Maurice, qui espère qu’elles resteront telles quelles après la crise.

Si ce nouvel aménagement juridique a facilité, dans une certaine mesure, le travail des entreprises funéraires, la situation n’en reste pas moins difficile pour ces professionnels. Et même si Maurice plaisante, en affirmant avoir doublé « sa dose de whisky », l’environnement reste pesant pour lui et son équipe : « Nous subissons. Nous n’avons aucun moyen de maîtriser la situation, c’est oppressant. » Maurice pense quand même à l’après-crise et aux hommages qui auront sûrement lieu, tout en s'inquiétant « du relâchement » du confinement qu’il observe à Mulhouse, et qui pourrait prolonger cet épisode éprouvant. 
 

* Le prénom a été changé, ndlr.

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NUMÉRO 66 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2024:
La crise écologique, un héritage colonial ?
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