Entretien

RSE : les entreprises doivent-elles sortir du washing ?

Longtemps cantonnée à la communication, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) doit passer un cap si elle veut être à la hauteur des enjeux du siècle et sortir des « washing » en tous genres. Entretien avec Oben Ayyildiz, Président-fondateur de la French Industry, un cabinet de conseil en stratégie RSE.

Cet entretien est extrait du numéro 35 de Socialter, “Êtes-vous assez radical”, aujourd’hui en kiosque et disponible sur notre boutique en ligne.

Face aux grands défis sociaux et environnementaux, pourquoi la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et le développement durable ne suffisent plus ?

Les grandes entreprises sont soumises à une pression croissante pour prendre en compte l’intérêt général, l’impact social et environnemental de leurs activités. Néanmoins, on constate plusieurs écueils. D’abord, la tentation de faire de la « RSE washing » qui, comme le « greenwashing », se contente d’une approche de façade sans réalité opérationnelle ni implication des différentes strates de l’entreprises.

La RSE est alors vécue comme une contrainte ou un mal nécessaire. Les entreprises mettent en place des indicateurs pour donner l’apparence d’un comportement vertueux, mais surtout pour « faire de la com’ » sans réellement avoir d’effets bénéfiques avérés. Lorsqu’elles lancent des actions concrètes, elles passent le plus souvent par des acteurs externes à l’entreprise, issus par exemple de l’économie sociale et solidaire (ESS). Mais elles ont souvent une méconnaissance totale des structures ayant fait leurs preuves et susceptibles de leur apporter des solutions adaptées.

Il faudrait aller beaucoup plus loin en intégrant réellement ces « solutions » dans une démarche globale au sein de l’entreprise. Il faut considérer la RSE comme un développement et un investissement, et non de la charité. Embarquer tous les corps de métiers. À partir du moment où cela fait partie de la stratégie, l’impact est plus fort et se diffuse via les différentes activités de l’entreprise. Mais l’entreprise doit prendre un réel temps de réflexion pour cela.

Justement, les entreprises sont-elles outillées pour ?

Pas toujours… Pour répondre à ces enjeux, les entreprises doivent associer plusieurs fonctions de l’entreprise (marketing, supply chain, qualité, commercial…), ce qui requiert une approche volontariste qui peut paraître de prime abord contradictoire avec la mission de base ou les objectifs à court terme de l’entreprise. Il faudra que la direction exprime une vision convaincante et marque son engagement pour que la recherche d’un impact social ne soit pas perçue comme un obstacle à la prospérité de l’entreprise.

Par ailleurs, des contraintes réglementaires ou normatives peuvent constituer un frein à l’adoption de solutions originales du point de vue social ou environnemental. En résumé, il y a des obstacles culturels, légaux et techniques et seule une grande détermination des acteurs, combinée à une approche ouverte et créative, permettra de les lever.

 

Pouvez-vous citer quelques exemples d’entreprises ayant développé des modèles plus vertueux ?

Michelin travaille depuis longtemps sur le lien entre la matière première et la durabilité de ses pneus. Ces dernières années, la société a investi dans des plantations d'hévéas plus durables, dans la R&D pour aboutir à des pneus increvables, dans des entreprises de rechapage, avec l’objectif ultime d’une base de matières premières constituée à 80 % de matériaux durables et d’un recyclage à 100 % des pneus usagés.

Le groupe SEB s'est engagé fortement avec ses marques sur la réparabilité des produits. Cet engagement remet en cause en profondeur les notions d'usage et de design. Elle fait le pari que leur clients recherchent dorénavant des ustensiles à plus longue durée d’usage et réparables, et seront ainsi plus fidèles à la marque.

Guerlain enfin, dans l'industrie de la cosmétique, travaille à partir de plantes et de fleurs dont la disponibilité et la qualité sont une condition
sine qua non de son développement. Conscient que la menace sur la biodiversité met en péril leur activité même, elle développe des filières en amont qui permettent une source de production plus durable. La clé est à chaque fois de démontrer aux actionnaires, au management et aux salariés qu’en intégrant ces enjeux l’entreprise pourra aller plus loin sur le long terme.

 

Ces nouveaux modèles sont-ils source d’innovation, voire de compétitivité ?

Si les entreprises ne le font pas, elles sont vouées à l’échec sur le long terme. Penser sa mission et son impact permet à l’entreprise d’inventer de nouvelles filières correspondant à l’évolution des mentalités et des comportements. Face aux grands défis sociaux et environnementaux, les entreprises sont de plus en plus conscientes qu’elle doivent faire partie de la solution et non du problème.

 

Comment accélérer l’adoption de modèles hybrides et de coopération entre acteurs ?

Beaucoup d’entreprises vont trop vite en créant des accélérateurs ou incubateurs pour dénicher des projets. Mais elle oublie souvent de poser une véritable stratégie et vision à long terme, d’associer les différentes parties prenantes, de réfléchir à la structure de financement et au produit qui va en sortir. Dans ce cas, on risque l’effet de mode qui s’essouffle.

Cela suppose d’entamer une approche systémique, en associant dès le départ les bonnes parties prenantes et en ayant la bonne méthode. Enfin, il faut impliquer les institutions publiques qui ont un rôle à jouer en termes de développement économique du territoire et doivent encourager ces coopérations. Le cadre juridique est l’un des points clés à ne pas négliger.

Comment protéger l’innovation et la propriété intellectuelle, quel cadre juridique lorsqu’on travaille en consortium, qui porte le projet et le risque. Ces formes de coopération nouvelles demandent un cadre adapté au cas par cas. Si l’on agit sur ces trois aspects, je suis convaincu que les alliances vont davantage s’accélérer.

Que pensez-vous de la loi Pacte adoptée en avril dernier ?

La loi Pacte permet d’aller plus loin que la RSE et le social business. Cette loi est innovante sur un point en particulier : elle reformule l’article 1835 du Code civil et reconnait ainsi aux sociétés qui le souhaitent le droit de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts. Cela permet d’identifier mieux l’objectif final, tout en gardant une marge de manœuvre sur les moyens.

Deuxième avantage, cela crée plus de valeur. Se définir clairement est un signe rassurant pour les parties prenantes et cela donne plus de lisibilité. Troisième avantage, la raison d’être de l’entreprise doit permettre d’attirer des nouveaux talents en quête de sens.

Cependant, il y a un inconvénient, il faut espérer que cette mode de la raison d’être ne conduise pas certaines entreprises à utiliser ce concept à des finalités marketing sans réelle action opérationnelle. Il faudra être très vigilant à son instrumentalisation et au « mission washing ».


Biographie :

  • Président-fondateur de la société la French Industry, cabinet de conseil en stratégie.

  • Fondateur et directeur général de REC Innovation pendant 10 ans, une association spécialisée dans l'accompagnement à l'accélération des sociétés à impact social et environnemental.

  • Président-fondateur de la société Cero Energie, qui conçoit, fabrique et installe des turbines hydroélectriques en France et à l'étranger. Il revend cette société après une forte croissance.

  • Enseignant-chercheur en droit à l'Université Panthéon-Sorbonne sur la thématique de la définition juridique des entreprises sociales et les techniques de structuration des alliances.

https://lafrenchindustry.fr/


 

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