Numéro 48
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Numéro 48

Idiocratie, comment la médiocrité nous gouverne

Qu’ils soient technocrates, éditocrates, méritocrates, managers, consultants, patrons ou dirigeants politiques, les opérateurs de pouvoir n’ont semble-t-il jamais été plus indignes de leur sacerdoce qu’en la période actuelle, marquée par l’urgence écologique et la pandémie de Covid-19. Indéboulonnables malgré leur impéritie, ils visent également à rendre nos vies fonctionnellement adaptées à leur vision du monde. Tourisme spatial, flexibilisation du marché du travail, lois liberticides, financiarisation, exploitation de tout ce que la planète compte de ressources et d’êtres vivants... Autant de desseins grotesques pour qui conserve encore un peu de sens commun. Les grands ont-ils toujours été aussi bas ? Il semble en tout cas que nous soyons entrés dans une nouvelle ère : la médiocratie est en marche.

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L'ENTRETIEN FLEUVE

Eva Illouz « L’amour est au coeur de la modernité »

De l’euphorie du premier date Tinder à la tristesse des rencontres vides s’écoule parfois le temps d’un claquement de doigts. Au-delà du vague à l’âme ressenti par tous ceux qui ont le swipe triste, la marchandisation de nos relations amoureuses est un fait social majeur, dont nous peinons encore à mesurer les conséquences. Comment penser une société dans laquelle les liens sociaux les plus intimes s’évaporent? Sommes-nous condamnés à vivre dans un roman de Michel Houellebecq? Nous avons pu en discuter avec Eva Illouz, qui propose depuis de nombreuses années une sociologie des émotions associée à une analyse critique du capitalisme contemporain.

DOSSIER

L'aristocratie des médiocres

Erratiques, grotesques, arrogants, carriéristes, pusillanimes... Ces derniers mois, certains noms d’oiseaux ont fusé pour qualifier ces puissants qui, chaque jour, font preuve de leur inconséquence face à la crise climatique, la pandémie de Covid-19 ou le creusement des inégalités. Pourquoi les incapables sont-ils aux manettes?

Nos médiocres ont du talent : le Technocrate, le Méritocrate, l'Éditocrate.

Les compétences exceptionnelles dont les élites politique, économique ou intellectuelle se prévalent pour forcer le respect des classes subalternes ne sont qu’un instrument de gouvernement parmi d’autres. Assurées de leur légitimité, cramponnées à leurs privilèges et pétries d’autosatisfaction, elles apparaissent alors comme les farouches sentinelles d’un conformisme qui assure leur maintien en haut de la hiérarchie sociale.

« Le taux de crétins diplomés ne cesse d'augmenter » Emmanuel Todd

Impuissance et mépris, tels semblent être, selon Emmanuel Todd, les deux vices des élites françaises, visiblement résolues à se dépasser en la matière tout au long de la pandémie de Covid-19. Mais si la période actuelle se distingue par une forme de régression intellectuelle des classes supérieures, la créativité populaire serait, quant à elle, sur le point de reprendre du poil de la bête, analyse le démographe.

Mon manager est un idiot

La figure du manager a changé la relation à l’autorité dans les entreprises. Le contremaître dirigeait par la contrainte, le manager dirige par la bienveillance. Mais derrière cette posture se cache en réalité un vide profond, une absence de pensée qui trouve sa source dans le fonctionnalisme, le mimétisme et la novlangue.

La fabrique de la nullité publique

Les politiques publiques nous paraissent de plus en plus souvent conjuguer nullité et incompétence – en témoigne la récente gestion de la crise sanitaire. Et si l’origine de ce changement était à trouver dans le recours accru à des cabinets de conseil mandatés pour donner leur avis sur tout et rien, embauchant à la pelle les fraîches recrues des grandes écoles pour vendre des calendriers interactifs et des synthèses PowerPoint ?

Les élites françaises : contre l'état, contre le peuple ?

De Philippe Auguste à Emmanuel Macron, l’histoire des élites françaises fait apparaître une constante: l’opposition toujours renouvelée de ces élites, nobles ou bourgeoises, à la puissance de l’État. Une opposition que seule est capable de contrecarrer l’alliance fragile du souverain avec le peuple.

GRAND REPORTAGE

Entre éleveurs et vétérinaires, une utopie mutualiste

À partir des années 1970, au cœur du département de la Loire, un groupe d’éleveurs et deux vétérinaires, Marc Delacroix et Thierry Segreto, décident de s’associer: les éleveurs paieront une cotisation annuelle pour que les vétérinaires garantissent un suivi complet du cheptel et forment les paysans aux gestes de base. Quarante ans plus tard, le système mutualiste mis en place par ces pionniers perdure dans la région: preuve qu’en modifiant l’organisation du travail, paysans et vétérinaires peuvent être tous gagnants.

ENQUÊTE

L'emprise logistique

La crise sanitaire a donné un coup d’accélérateur sans précédent au commerce en ligne et à la livraison à domicile. Pour Amazon et ses concurrents, la logistique, à la fois infrastructure matérielle et véritable science du profit, est le nerf de la guerre. Une hydre, emblématique d’un capitalisme de flux, qui ne cesse d’étendre son pouvoir.

RESSOURCES CRITIQUES

Massacre à la tronçonneuse

À la fois combustible et outil, levier de puissance et ressource à rationaliser, le bois est un matériau tant universel que stratégique, dont la production a accompagné l’affirmation de l’autorité de l’État. À l’heure du réchauffement climatique et alors que la demande risque d’exploser, son exploitation promet de s’intensifier.

AU LABO

Promesses chimériques

La recherche et la législation ont dernièrement franchi un pas décisif vers la création de «chimères homme-animal». Les promesses médicales de ces entités hybrides favorisent pourtant, au-delà des écueils éthiques, un projet technologique d’appropriation et de marchandisation du vivant.

CHRONIQUES

Juliette Rousseau : Récupérations #néolibérales

Juliette Rousseau est journaliste, autrice et éditrice aux éditions du Commun. Militante de terrain, elle a coordonné de multiples événements politiques internationaux (contre-G8, contre-G20, etc.) et s’est attachée à questionner les pratiques d’organisation militante dans l’ouvrage Lutter ensemble. Pour de nouvelles complicités politiques, paru aux éditions Cambourakis en 2018. Elle tient cette chronique pour Socialter.

François Begaudeau : Punitif, disent-ils

François Bégaudeau est écrivain, critique littéraire, scénariste et réalisateur. Auteur de plusieurs romans dont La Blessure, la vraie (Verticales, 2011) et En guerre (Verticales, 2018), il a récemment signé l’essai Histoire de ta bêtise (Pauvert, 2019) où il interpelle la bourgeoisie. Il tient une chronique régulière pour Socialter et livre deux fois par mois un podcast de critique de cinéma, La gêne occasionnée.

BLEU BLANC VERT - LA CHRONIQUE PRÉSIDENTIELLE

L'écologie a-t-elle besoin d'un parti ?

À chaque numéro, Socialter décrypte un enjeu écologique lié à la présidentielle de 2022 pour révéler les clivages et affrontements idéologiques qui se jouent au-delà des calculs politiques. Dans ce numéro, nous nous demandons si un parti « Vert » doit chercher à briguer l’Élysée.

PLAT DE RÉSISTANCE

L'hacktivisme est-il mort ?

La décennie 2010 devait être celle de l’émergence d’un contre-pouvoir mondialisé: celui des Anonymous, Telecomix, WikiLeaks et autres groupes d’«hacktivistes» qui, à coup de cyberattaques et de diffusion sur le Net de documents compromettants, pouvaient s’ériger en défenseurs des libertés publiques. Malgré quelques récents soubresauts, l’activité des pirates informatiques agissant contre des gouvernements, des sectes ou des multinationales s’est néanmoins faite plus discrète ces dernières années.

LES DÉTERRÉS

La science contre le silence

La biologiste américaine Rachel Carson s’est imposée comme une figure fondatrice de l’écologie avec Printemps silencieux (Silent Spring, Houghton Mifflin, 1962). Dénonçant l’impact des produits chimiques sur l’environnement, ce livre culte a montré que la contamination du monde par l’humain est le symptôme d’un rapport détraqué au reste du vivant que la science doit avoir le courage de documenter.

L'IDÉE DONT VOUS ÊTES LE HÉROS

Quel rapport à la nature êtes-vous ?

Pour le domestiquer ou l'exploiter, l'homme moderne est capable de saccager son environnement, de lui infliger mille mutilations. Dès la fin du XVIIe siècle, la prise de conscience de la vulnérabilité des milieux naturels a fait naître l'idée qu'il fallait les protéger des excès
des sociétés humaines. Cette nécessité a alors donné lieu à différentes politiques de protection de la biosphère, qui illustrent autant de rapports contradictoires à la nature.

CARNETS DE CRISES

La colère de la terre lorsque le feu danse sur l'eau

Chez les Aborigènes, chaque femme et homme est gardien de sites sacrés qui assurent l'équilibre entre les animaux, les plantes, les minéraux et les phénomènes climatiques. Mais la spoliation de ces peuples pour raison supérieure d’extractivisme a amorcé le temps des catastrophes, alerte l’anthropologue Barbara Glowczewski. Alors ces gardiens et gardiennes se soulèvent et en appellent
à de nouvelles alliances dans ce conflit aux frontières planétaires.

J'HABITE...

J'habite... chauffé à la géothermie

Souterraine, elle est invisible et silencieuse. Aux côtés de l’éolien ou du solaire, la géothermie passe inaperçue. Mais de récents projets lui donnent une nouvelle visibilité. À Ivry-sur-Seine, Violette et ses voisins chauffent leur logement grâce à un profond aquifère, vieux de millions d’années.

EN RÉPONSE À...

En réponse aux fossoyeurs de l'émancipation

Que signifie «s’émanciper» à l’heure du néolibéralisme triomphant, de l’émergence de nouvelles revendications égalitaires, de la pandémie de Covid-19, de l’urgence écologique? Loin des instrumentalisations politiques qui voudraient en faire une injonction à «se prendre en main», le sociologue Federico Tarragoni invite à réinventer cet idéal contre toute perspective individualiste: l’émancipation ne peut avoir que l’humanité pour horizon.

CHANGER DE VIE... ET APRÈS ?

« On ne peut pas tordre la matière comme on veut »

Olivier Corbin a d’abord travaillé dans un grand groupe industriel avant de tout plaquer pour devenir guide de randonnée, puis menuisier autodidacte. Aujourd’hui, il cumule ces deux activités dans sa Seine-et-Marne natale, en lisière de la forêt de Fontainebleau. Sobriété volontaire et contemplation de la nature: son parcours raconte comment le sport est parfois un moyen d’émancipation quasi politique.