À l’heure des sécheresses et des pollutions, les pénuries d’eau constituent une menace de plus en plus aiguë. Face à l’accaparement néolibéral et à la gestion autoritaire de cette ressource critique, le collectif Hydromondes, qui mène des enquêtes populaires sur les enjeux de l’eau à travers la France, imagine une alternative radicale: la démocratie directe de l’eau.
Cet horizon passerait par la mise en œuvre de biorégions, concept invitant à délimiter les territoires selon leur réalité écologique, qui formeraient l’unité institutionnelle permettant une réappropriation collective des enjeux de l’eau.
BASCULES 2023
10 propositions pour un tournant radical
Bascules #3 - 10 propositions pour un tournant radical Puisque notre impasse politique et économique est aussi une panne intellectuelle, Socialter entend proposer des idées d’avant-garde, des réflexions stratégiques et des prises de position fortes avec Bascules. Pensé comme un OVNI éditorial à l’intersection de l’essai et de la revue, Bascules #3 rassemble 10 textes inédits de philosophes, chercheurs et écrivains, tous artisans de la pensée de demain. Après le succès d’une première édition qui rassemblait notamment des textes de Bruno Latour et Annie Le Brun et Anselm Jappe et de la seconde édition avec ses textes de l'Atelier Paysan et Françoise d'Eaubonne, Bascules #3 se fait à nouveau le porte-voix de ces figures qui détonnent dans le paysage intellectuel et médiatique, et qui vont nourrir les luttes et les alternatives à venir.
SOMMAIRE
Hydromondes : La biorégion, creuset d'une démocratie directe de l'eau
Les Ateliers Icare : Pour un nouveau rapport au travail, expérimenter la polyactivité
Pour dépasser le malaise naissant de prises de conscience isolées, le collectif d’ingénieurs de l’aéronautique toulousains Icare s’est initié en 2020 pour réfléchir à l’avenir de leur secteur écologiquement insoutenable. Ces questionnements ont débouché sur plusieurs initiatives, dont l’expérimentation de la polyactivité qu’ils partagent dans ce texte.
Devant un monde du travail qui produit une perte de sens tout en restant figé dans une course à la productivité, ce collectif démontre que la polyactivité, qui permettrait d’articuler leur travail d’ingénieur à une activité maraîchère, se présente comme une piste sérieuse pour participer à la nécessaire mutation de notre économie, tout en retrouvant une connexion avec son environnement terrestre.
Paul Rocher : L'ordre public, sans la police
La brutalisation inédite du maintien de l’ordre ainsi que la succession des homicides dans les banlieues l’attestent : il y a un problème avec la police. Celui-ci, considère Paul Rocher, naît à la fois de l’inévitable autoritarisme qu’implique la mise en œuvre de réformes néolibérales rejetées par une majorité, mais aussi de l’esprit de citadelle assiégée qui règne au sein d’une institution configurée pour être imperméable au reste de la société.
Pour sortir de cette impasse, cet économiste réfléchit à la mise en place d’un ordre public sans police, reposant sur une gestion populaire.
Flaminia Paddeu : Cultiver des potagers, contester la métropole
Rompant avec l’image des potagers urbains symbolisant une écologie bobo inoffensive, la géographe Flaminia Paddeu démontre qu’ils s’enracinent dans une histoire populaire tournée vers la subsistance.
Flaminia Paddeu soutient que ces espaces stratégiques de l’autoconsommation peuvent être des outils d’émancipation et de transformation politiques, s’ils savent cultiver des alliances avec les paysans nourriciers et d’autres formes d’alternatives rurales.
Nicolas Da Silva : Reprendre à l'état social ce qui appartient à la Sociale
La Sécurité sociale n’est pas la politique égalitaire et universelle que l’on croit. Notre système de santé, fruit du régime général né en 1946, a fait l’objet d’une appropriation croissante par l’État au détriment de la gestion par les intéressés.
Contre cette mainmise qui a conduit à des décennies de réformes ouvrant la voie à un capitalisme sanitaire, l’économiste Nicolas Da Silva soutient la nécessité de reprendre le pouvoir sur la «Sécu». Et imagine des pistes pour retrouver l’esprit originel de «La Sociale», fonctionnant sur l’autogouvernement par les assurés.
Isabelle Bruno & Grégory Salle : Les plages sont des zones à défendre
La plage est politique. La politiste Isabelle Bruno et le chercheur en sciences sociales Grégory Salle, auteur de Superyachts. Luxe, calme et écocide (Amsterdam, 2021), montrent qu’elle est à la fois un objet d’appropriation par les élites économiques et, grâce aux écosystèmes cruciaux et fragiles qu’elle abrite, au cœur des enjeux écologiques.
À partir du double impératif du droit à la plage et de la nécessité d’en limiter l’accès pour laisser aux vivants non humains le droit d’y vivre, les deux universitaires esquissent les possibilités d’un retrait égalitaire en vue d’un réensauvagement de la plage, cet objet où se condensent toutes les lignes de fractures de l’Anthropocène.
Jeanne Guien : Pour une sécurité sociale de la menstruation
Si le thème de la «précarité menstruelle» s’est invité à l’agenda politique et médiatique, Jeanne Guien pointe les incohérences et angles morts d’une approche tenant de l’argument publicitaire.
Plaidant pour une culture menstruelle débarrassée des représentations hygiénistes et discriminantes, cette philosophe et chercheuse indépendante propose une sécurité sociale de la menstruation, conçue sur le modèle de la sécurité sociale de l’alimentation, qui garantirait l’accès à un panier de produits conventionnés de qualité pour toutes les personnes menstruées.
Antoine Chopot : Politiser le réensauvagement des territoires
Le réensauvagement s’est imposé comme un impératif pour laisser place aux vivants autres qu’humains. Mais la politique d’acquisition foncière par laquelle celui-ci s’est traduit mène à une impasse, constate le philosophe Antoine Chopot : cette stratégie de grignotage ignore les acteurs locaux en s’imposant à eux.
Contre cette logique, il défend la création de «comités de vie sauvage» où se noueraient des alliances entre tous ceux qui, localement, admettent le principe de libre évolution, tout en inventant la mise en œuvre ici et maintenant de ce monde réconcilié avec le sauvage.
Diego Landivar : Réinventer les droits de préemption et d'expropriation
Les grandes infrastructures de la modernité tiennent encore debout, mais elles sont déjà mortes par l’avenir failli que leur conception comme leur maintenance impliquent. Devant ce constat au cœur de l’écologie du renoncement, l’économiste et anthropologue franco-bolivien Diego Landivar imagine les contours, à partir du cas réel d’un ancien site Michelin à Clermont-Ferrand, d’un droit à la préemption et à l’expropriation adapté aux enjeux actuels.
Justifié par l’impératif climatique, il permettrait de faire bifurquer notre héritage industriel pour le rendre compatible avec les enjeux de l’Anthropocène.
Fanny Hugues : Bricoler pour mieux réparer le(ur) monde : les ruraux précaires montrent le geste
Durant trois ans, la sociologue Fanny Hugues, doctorante au Centre d’études des mouvements sociaux (CEMS), a enquêté dans les campagnes auprès de ceux qui font le choix, parfois contraint, de « vivre de peu en zone rurale », selon le titre de la thèse qu’elle soutiendra à l’EHESS dans quelques mois.
Cette débrouille, qui passe par l’échange, la réparation et l’autoproduction, va de pair avec un lien social et une transmission qui tracent, par-delà la seule sobriété matérielle, un horizon d’émancipation. Contre l’actuelle récupération marchande de la vogue du bricolage, il s’agit d’abord de réparer son monde pour maintenir le monde.