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« L'Affaire du siècle » : l'État français poursuivi en justice par des ONG

Quatre ONG attaquent l'État français pour son "action insuffisante contre le réchauffement climatique". Un recours juridique (auto-proclamé « L'Affaire du siècle ») qui fait écho aux nombreuses initiatives se multipliant à travers le monde et semble ouvrir la voie à une nouvelle forme de militantisme écologique.

Le 17 décembre, la COP24 s’est soldée par l’adoption d’un compromis branlant, malgré des enjeux toujours plus pressants. Le lendemain, quatre ONG – Notre Affaire à Tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation pour la Nature et l’Homme – ont décidé d’attaquer l’État français pour son « action insuffisante contre le réchauffement climatique ». 

 

Des “carences fautives” de l’État


Avec cette demande préalable déposée par les ONG au gouvernement, l’objectif est de pointer du doigt les carences de l’État et de le contraindre à mettre tout en œuvre afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C avant la fin du siècle (nous avons déjà dépassé les 0,8°C). On parle alors de “carence fautive” pour désigner l’inertie d’une institution malgré la contrainte juridique.

Ces organisations relèvent que l’État français n’a pas tenu ses engagements à divers niveaux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et protéger les droits humains et environnementaux. Les émissions annuelles de gaz à effet de serre en France sont reparties à la hausse en 2016 et 2017 (l’objectif fixé par le Décret de 2015 sur la Stratégie Nationale Bas Carbone (« SNBC »)  a ainsi été dépassé de +6,7% en 2017).

De même, d’après le Commissariat général au développement durable (CGDD), « la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie en France s’élevait à 16,3% en 2017 soit bien en-deçà des 19,5% prévus par la trajectoire annuelle entre 2005 et 2020 en application du plan national d’action en faveur des énergies renouvelables remis à la Commission européenne en 2010 ».

Ils rappellent également les engagements pris par l’État français lors de la COP21 : des objectifs qui non seulement n’ont pas été tenus mais qui devraient même être revus et amplifiés au vu du dernier rapport publié par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) le 8 octobre 2018 et qui analyse les effets dramatiques qu’aurait une augmentation de température de plus de 1,5°C.

La lutte contre le changement climatique, un « principe général de droit »


Dans leur communiqué de presse, les plaignants expliquent qu’ils se basent sur
« la Constitution française, la Convention européenne des droits de l’homme mais aussi des multiples normes et engagements pris par la France tant sur le plan international (Déclaration de Stockholm, Charte mondiale de la nature, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, Protocole de Kyoto, Accord de Paris), européen (Paquet énergie-climat, directives…) ou national (Loi Grenelle I, Loi pour la Transition énergétique…). »



D’après les associations, « ces documents juridiques permettent aujourd’hui de reconnaître l’existence d’un “principe général du droit” (une règle non-écrite de portée générale, qui s’impose à l’administration et à l’État et dont la violation est considérée comme une violation de la règle du droit, ndlr) portant obligation de lutte contre le changement climatique. »

Les recours citoyens contre les États se multiplient


Et pour cause, ce genre de recours connaît aujourd’hui plusieurs précédents. Portant la voix de quelque 886 citoyens, l’ONG néerlandaise Urgenda a ainsi remporté le 9 octobre 2018 à la Cour d’appel de la Haye son procès contre les Pays-Bas. Les autorités hollandaises sont dorénavant contraintes de mettre tout en œuvre pour réduire d’au moins 25% leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2020 et de 95% d’ici 2050.

De même, dix familles d’Europe, d’Afrique et du Pacifique, subissant d’ores et déjà les effets du réchauffement climatique ont déposé une plainte en mai 2018 contre le Parlement et le Conseil européens auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Avec le soutien de nombreuses ONG, ils estiment que l’objectif de réduction des émissions de GES de -40% d’ici 2030 est insuffisant pour protéger les droits fondamentaux des citoyens.  

Science for the people


Conscients de l’absence de mécanismes de sanction prévus par les accords multilatéraux (à l’image des accords des COP), les citoyens et leurs avocats font preuve d’ingéniosité pour obliger les États à agir à la mesure des enjeux (ou au moins de leurs propres engagements). Or, l’Accord de Paris précise justement que les parties s’engagent à établir un plan de réduction des émissions, dont les résultats doivent être rendus publics tous les cinq ans et les objectifs «
révisés en se fondant sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles ».

Une précision de simple bon sens, mais qui a toute son importance. Dans le cadre de l’affaire Urgenda, le juge s’est en effet basé sur les rapports du GIEC pour rendre son verdict, et non sur les engagements que le gouvernement hollandais avait pris. Les rapports scientifiques apparaissent donc comme un outil efficace pour contraindre les États à prendre l’ensemble de leurs responsabilités – et non simplement celles qu’ils ont bien voulu endosser.


Des célébrités appuient l’initiative


Bien que « l’Affaire du siècle »  soit née il y a deux jours seulement, elle connaît d’ores et déjà un succès impressionnant. Grâce à l’appui de plusieurs célébrités françaises (Juliette Binoche, Abd Al Malik, Élie Semoun, Marion Cotillard…) et de youtubeurs engagés (Vincent Verzat, Professeur Feuillage, Nicolas Meyrieux…), la vidéo de lancement de la campagne a déjà comptabilisé près de 6 500 000 vues et permis de récolter quelque 850 000 signatures.

Le bras de fer est donc engagé entre les ONG, portant la voix de nombreux citoyens, et l’État. Ce dernier dispose de deux mois pour répondre à la demande préalable indemnitaire des plaignants. Si la réponse est jugée insatisfaisante, les quatre ONG procéderont en mars prochain au dépôt du recours de plein contentieux devant le tribunal administratif de Paris. Enfin, « si le jugement rendu ne répond pas à leurs attentes, les quatre organisations pourront faire appel devant la cour administrative d’appel, et si besoin se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État », précise le communiqué de presse.

Pour aller plus loin, retrouvez notre artcle "Les États peuvent-ils être condamnés à cause du changement climatique ?" dans le n°32 de Socialter, disponible en kiosque et dans notre boutique en ligne. 

 

 

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