A compléter

Hélène Médigue : "Ce ne doit pas être une ségrégation de manger sainement"

"On a 20 ans pour changer le monde", un documentaire consacré aux acteurs de la transition vers l'agroécologie, sort dans les salles le 11 avril prochain. Un film de sensibilisation qui tend la main aux néophytes de cette technique agricole. Rencontre avec Hélène Médigue, la réalisatrice.

Quel a été le point de départ de On a 20 ans pour changer le monde ?

J’ai découvert l’association Fermes d’Avenir en lisant Le Monde en mai 2016. J’ai été interloquée par la manière dont elle tentait d’activer la transition sur tous les fronts en cherchant à la financer alors que l’État ne prenait pas ses responsabilités. L’association développe aussi d’autres compétences : la formation, l’influence politique à travers le plaidoyer et la production alimentaire. Une valeur qui est selon moi universelle m’a aussi séduite : la coopération entre les différents secteurs. Au mois d’août suivant le tournage du film avait commencé.

En quoi consiste l’agroécologie ?

C’est une technique agricole qui consiste à produire avec ce que la nature nous offre, sans utilisation de pesticides ou d’engrais. Le système industrialisé actuel ne fonctionne pas. Dans le cas contraire nos agriculteurs iraient beaucoup mieux. Nous parlons très peu de la qualité des sols. En France nous essayons de protéger l’air et l’eau mais pas les sols. Pourtant ils sont la base de tout, nous ne pouvons pas avoir une eau et un air sains si nos sols ne le sont pas. L’agroécologie permet justement de les protéger. Cette technique est rentable. Les externalités de l’agroécologie permettent une rentabilité à travers la création de liens, d’emploi ; elles évitent aussi des frais de santé qui sont colossaux.

Vous ne montrez dans le film que des acteurs de la transition.

Oui, des "gens qui font" comme j’aime le dire. L’objectif était de le rendre accessible au grand public, à des personnes qui ne maîtrisent pas forcément ces sujets. J’ai décidé de suivre une chronologie, une progression, mais aussi de générer des rencontres. Par exemple un agriculteur conventionnel décide de se tourner vers l’agroécologie. Les images tournées permettent de voir ce changement avec une vraie narration. Ce projet prend beaucoup de place dans le film. Il montre aussi des exemples de conversions réussies, notamment entre un père et son fils. La filiation permet une compréhension de cette transition et de raconter l’histoire de notre agriculture.

{$Element_embed_1}

Un des axes principaux du film est la désynchronisation de l’Homme et de la Nature.

Cette problématique m’importe beaucoup. Nicolas Hulot [qui n’était pas ministre au début du tournage, NDLR] en parle dans le film et explique "que notre conscience est à la traîne de la science". L’Homme doit se resynchroniser avec elle pour redonner du sens à notre façon de vivre et à notre société. Notre technologie avance plus vite que nous, nous sommes en train de nous tuer. Les agriculteurs qui ont hérité des sols n’ont pas les connaissances sur leur fonctionnement et leur composition car cela ne leur a pas été transmis.

Ce film peut-il avoir un impact, créer une prise de conscience collective ?

C’est mon vœux ! J’espère qu’il permettra une compréhension de ce milieu mais aussi d’éveiller les consciences. Demain (long-métrage de Cyril Dion et Mélanie Laurent) a plus que rempli cette mission, et à un niveau international. Dans On a 20 ans pour changer le monde nous nous sommes concentrés sur la situation de l’agriculture en France.

Comment peut-on inciter les agriculteurs conventionnels à se tourner vers l’agroécologie, sachant qu’environ 5 ans sont nécessaires pour dégager un revenu ?

C’est tout le problème de la faillite de l’État. Les agriculteurs ne sont pas responsables de leur situation actuelle. L’État devrait soutenir les exploitants pour actionner cette transition et leur permettre de tenir sur ces cinq années de transition et de laisser le temps à leurs sols de se régénérer. Depuis la fin du tournage, certaines propositions du plaidoyer de Fermes d’Avenir ont été adoptées à l’Assemblée nationale. Le glyphosate est aussi un sujet important, son arrêt ne se fera pas en claquant des doigts, il faut trouver des solutions pour y parvenir. Claude Bourguignon (ingénieur agronome, ancien collaborateur de l’Inra) me parlait par exemple d’un acide qui était utilisé après la guerre et qui n’est pas nocif ni pour les hommes ni pour les sols et qui permettrait de faire autrement dans un premier temps.



L’ancien ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, s’est impliqué dans cette transition. Quel est son bilan ?

La loi d’avenir a tenté d’actionner cette transition. Quand Stéphane Le Foll a essayé des choses il a été rattrapé par la crise, par des questions de budget. Cet effort se poursuit avec le président Macron, qui s’est positionné dans certains domaines comme le glyphosate.

Comment, au-delà d’une action étatique, cette transition peut-être financée ?

Notamment par le financement participatif, par exemple avec Blue Bees (plateforme de crowdfunding de Fermes d’Avenir) qui permet aux citoyens d’investir dans l’agroécologie. Je suis convaincue que cette transition se fera par les citoyens.

Dans quelle mesure les citoyens peuvent soutenir, autrement qu’en aidant financièrement, cette transition ?

En consommant bio et local. La grande distribution est en train de se responsabiliser. Le plus important est que le bio soit accessible à tous. La ferme de Brétigny-sur-Orge dans l’Essonne a la vocation de montrer qu’on peut consommer de cette manière en Ile-de-France. Ce ne doit pas être une ségrégation de manger sainement.

Selon l’INSEE en 2020, quatre agriculteurs sur dix partiront à la retraite. N’est-ce pas une urgence d’impulser la formation à l’agroécologie ?

Un des grands projets de Fermes d‘Avenir est de récupérer un lycée agricole pour transmettre l’agroécologie. Sur le plan national nous avons les bonnes personnes pour diffuser ces techniques. Nous n’avons pas pu dans le film évoquer le cas des néo paysans, qui travaillaient dans des métiers complètement différents et qui ont décidé de revenir à la terre, ces personnes-là se forment.

Crédit photo © E. Grégoire/CL2P/RendezVousProductions 

Soutenez Socialter

Socialter est un média indépendant et engagé qui dépend de ses lecteurs pour continuer à informer, analyser, interroger et à se pencher sur les idées nouvelles qui peinent à émerger dans le débat public. Pour nous soutenir et découvrir nos prochaines publications, n'hésitez pas à vous abonner !

S'abonnerFaire un don

Abonnez-vous à partir de 3€/mois

S'abonner
NUMÉRO 62 : FÉVRIER -MARS 2024:
L'écologie, un truc de bourgeois ?
Lire le sommaire

Les derniers articles