Guerre à la nature ?

Du génocide à l'écocide : 6 conflits actuels qui ravagent les vies humaines et la planète

Illustration : Elie Huault

Qu’il soit la victime collatérale des affrontements, l’enjeu principal de rivalités, ou parfois transformé en arme de guerre, l’environnement est souvent enrôlé dans les conflits humains. Au prix de destructions dont les effets mortifères perdurent après la cessation des combats. Retour sur les impacts écologiques de six guerres actuelles.

Ukraine : attaques toxiques

Depuis son invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, au-delà des forces armées envoyées au front, la Russie multiplie les attaques ciblant les ressources et infrastructures civiles, industrielles et énergétiques ukrainiennes. La stratégie est claire : fragiliser les conditions de vie et détourner les ressources de l’effort de guerre, tout en affaiblissant le complexe militaro-industriel. Dès les premières semaines de guerre, Moscou cible des sites industriels comme l’usine chimique de Severodonetsk, provoquant des fuites de substances dangereuses. Ou comme la station d’épuration de Vassylivka, ce qui a empêché le traitement des eaux usées de la ville.

Autre terrible exemple : celui de la rupture du barrage Kakhovka en juin 20231. L’accident provoque une gigantesque inondation qui s’étend sur plus de 620 km2, causant d’immenses préjudices aux habitants et à l’environnement. Rien n’est épargné par le déferlement des eaux et des pollutions qu’elles drainent. Des rapports2 font l’état de la perte de 11 388 tonnes de poissons, 11 294 hectares de forêt, 5 000 hectares de cultures et l’inondation de 60 509 bâtiments.

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En août 2024, la Russie est également suspectée d’avoir volontairement pollué les rivières Desna et Seïm par le rejet de substances toxiques provenant d’une usine de sucre située dans le village russe de Tyotkino. Bilan : 44 tonnes de poissons morts et l’extinction de toutes formes de vie dans les eaux. Enfin, depuis 2025, la Russie et l’Ukraine enchaînent des attaques de drones visant leurs infrastructures énergétiques respectives (centrales nucléaires, raffineries, etc.).

À lire → « En Ukraine, l’écocide est utilisé comme arme de guerre » Renéo Lukic et Sophie Marineau (The Conversation, 26 septembre 2024)

GazaUn génocide doublé d’un écocide

L’acharnement de l’État d’Israël sur Gaza témoigne d’une capacité destructrice sans précédent, et s’ajoute à des décennies de colonisation et de violences humaines et environnementales. Depuis le 7 octobre 2023, cette double extermination enraye toute possibilité de (sur)vie sur le territoire. L’enclave d’à peine 365 km2 est devenue un champ de ruines empoisonné. L’intégralité de l’environnement est affectée par les pollutions chimiques provoquées par les explosifs, les feux et les destructions massives3.

De nombreuses substances toxiques sont présentes dans l’air, l’eau, les sols, à l’instar des PFAS, du mercure, du plomb ou de l’arsenic. On compte près de 78 % des bâtiments et infrastructures détruits ou endommagés, générant 61 millions de tonnes de débris (169 kilos par m2 !), dont certains contaminés à l’amiante ou aux métaux lourds. La majeure partie du système hydraulique est hors ­service, inaccessible ou anéantie. En plus du strict blocus imposé aux Gazaouis, la production alimentaire est devenue impossible, seul 1,5 % des terres agricoles est encore accessible et cultivable selon les dernières données des Nations unies4.

Plus de 80 % des arbres ont disparu5, du fait notamment du pillage ou de la destruction d’oliviers, symboles de la culture et de l’économie palestiniennes. Le traitement, la reconstruction et la régénération, s’ils sont possibles un jour, prendront des années, ce qui, pour l’historienne Stéphanie Latte Abdallah, constitue un « futuricide »6.

À lire → « “No traces of life” : Israel’s ecocide in Gaza 2023-2024 » (Forensic Architecture, mars 2024)


Inde - Pakistan : guerre sous affluences

En 1947, le mouvement d’indépendance indien contre la domination coloniale britannique aboutit à la création de l’Inde et du Pakistan, entraînant un mouvement de population inédit de par sa violence et son ampleur. Le Cachemire, ancien État princier au nord-ouest de Delhi, s’est vu divisé en deux. Chacune des deux puissances nucléaires affiche néanmoins régulièrement ses revendications territoriales sur fond de tensions religieuses (entre hindous et musulmans) et d’instabilité géopolitique dans la région.

En avril 2025, un attentat contre des touristes dans la ville de Pahalgam (Cachemire indien) faisant 26 morts a relancé une escalade de violences dans la région, l’Inde pointant la responsabilité du Pakistan. En représailles, New Delhi décide de suspendre l’application du traité de l’Indus, qui assure le partage des eaux entre les pays depuis 1960. Le fleuve traverse des zones contrôlées administrativement par l’Inde. Ses affluents sont vitaux aux 251 millions de Pakistanais, car ils irriguent près de 90 % de l’agriculture du pays. Déjà certains bras de l’Indus ont vu leur débit fortement diminuer, provoquant des déficits hydriques sur les cultures. Islamabad tente de rétablir l’accord par l’entremise de la Cour permanente d’arbitrage, mais New Delhi refuse.

Cette diplomatie punitive intervient dans un contexte d’intensification du réchauffement climatique alors que l’Inde et le Pakistan ont épuisé leurs nappes phréatiques et cherchent à sécuriser leur approvisionnement en eau.

À lire → « Conflit Inde-Pakistan : l’eau utilisée comme arme de guerre » Scandola Graziani (Reporterre, 9 mai 2025)

République démocratique du Congo - À mines et à sang

Depuis une trentaine d’années, la province du Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo, est le théâtre d’affrontements sanglants. Parmi les causes majeures de l’instabilité persistante de la région, on trouve le désir de l’État rwandais de s’approprier ses sous-sols riches en minerais, indispensables à nos sociétés numériques, pour alimenter les appétits des États et multinationales étrangères. La région abrite 80 % des réserves mondiales de coltan, 15 % de celles d’étain ainsi que de l’or7, dont le Rwanda s’est fait le principal marchand. Depuis la fin des années 1990, le pays s’impose avec ses troupes militaires et finance des bandes locales armées, telles que le M23, pour contrôler et organiser le pillage des gisements.

Selon une étude8 de l’ONG Global Witness, 90 % des minerais dits « 3T »9 commercialisés par l’État rwandais proviennent de l’exploitation illégale des mines de RDC. Une « économie de guerre » (d’où le surnom de « minerais de sang »), couplée à une industrie dévastatrice, à l’origine de crimes massifs : massacres, déplacements forcés, esclavagisation, violences sexuelles, destructions des villages, des paysages et pollutions irréversibles. Début 2025, la chute de la ville de Goma, désormais aux mains du M23, et la reprise des affrontements, ont aggravé une situation sanitaire déjà critique en alimentant la propagation d’épidémies comme le choléra, le mpox, le VIH ou la rougeole.

En 2013, des activistes congolais avaient qualifié cette guerre de « genocost », signifiant « le génocide pour des gains économiques ». La RDC est le premier pays africain à soutenir officiellement la création juridique d’un crime international d’écocide.

À lire Barbarie numérique Fabien Lebrun (L’Échappée, 2024) →Minerais de sang Christophe Boltanski (Grasset, 2012)


Yémen - De l’eau et des larmes

Cette guerre, démarrée en 2014, puise ses origines dans un conflit interne opposant un gouvernement sunnite, soutenu par l’Arabie saoudite, à des rebelles chiites, les houthistes, alliés à l’Iran. Lorsque ces derniers prennent la capitale, Sanaa, en 2014, une coalition d’une dizaine de pays arabes et sunnites menée par l’Arabie saoudite se forme pour les combattre. En dix ans, selon les Nations unies, le conflit a coûté la vie d’environ 400 000 personnes et près de 19,5 ­millions de Yéménites (soit la moitié de la population) dépendent de l’aide humanitaire d’urgence pour vivre.

Malgré l’instauration d’un cessez-le-feu en 2022, le climat politique reste incertain. Le territoire s’enfonce dans une crise de l’eau largement aggravée par les forces armées qui ont soit volontairement restreint son accès dans certaines zones du pays, soit détruit ou endommagé directement des infrastructures essentielles (barrages, pompes, canalisations, usines de traitement). Par ailleurs, en 2023, le Yémen atteint le triste record du plus haut taux de contamination par les armes au monde selon le Comité international de la Croix-Rouge.

L’organisation alerte notamment sur la présence massive de mines terrestres et de munitions non explosées qui constituent un danger quotidien pour les Yéménites – des milliers de civils à ce jour selon l’association Masam Project – mais aussi l’activité agricole et les écosystèmes. Même en cas de paix durable, le nettoyage prendrait des années et nécessiterait d’importants moyens pour en venir à bout.

À lire → « Le Yémen, dix ans de guerre. Entretien avec Laurent Bonnefoy » Sciences Po (17 mars 2025, en ligne)


Soudan -  La terre brûlée

Depuis le 15 avril 2023, le territoire est déchiré par une guerre civile dévastatrice opposant deux généraux et leurs armées. D’un côté, Abdel Fattah al­-­Burhan, le chef de l’armée régulière soudanaise, de l’autre, Mohamed Hamdan Dagalo, surnommé « Hemedti », à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), une puissante faction paramilitaire. Deux ans plus tard, le conflit affiche un bilan tragique. Plus de 150 000 morts, 13 ­millions de déplacés et plus de la moitié de la population en proie à une insécurité alimentaire aiguë. « La pire crise humanitaire au monde », selon l’ONU. 

Les combats ont gravement endommagé le secteur agricole, pilier de l’économie soudanaise qui emploie 65 % de la population10. Rien qu’en 2023, les productions de céréales, comme celles du mil, du sorgho ou du blé, ont chuté11. En cause, les pénuries d’énergie, les taxations, l’augmentation des coûts de production, les destructions de matériel et le manque d’aide. Quant à la zone agricole de Gezira, l’une des principales régions productrices, elle a été presque entièrement détruite. Plus encore, une enquête du Center for Information Resilience relayée par Mediapart démontre que les FSR pratiquent une stratégie de la terre brûlée. Elle dénombre « 108 cas de localités totalement ou partiellement détruites par le feu, dans 180 incendies différents ».

À cette situation critique s’ajoute l’intensification des pressions clima­tiques. Le pays, classé parmi les plus vulnérables au changement climatique au monde, subit depuis des années des inondations et sécheresses records à répétition. 

À lire → « Un an de guerre au Soudan : l’arme des villages brûlés » Gwenaelle Lenoir (Mediapart, 28 mars 2024)

1. La Russie dément en être à l’origine mais toutes les pistes convergent vers sa responsabilité. Kiev demande à ce que le Kremlin soit tenu pour responsable de crime d’écocide.

2. « The post-disaster needs assessment, 2023 Kakhovka dam disaster », Nations unies, octobre 2023.

3. « Environmental impact of the escalation of conflict in the Gaza Strip: Second assessment », Programme des Nations unies pour l’environnement, septembre 2025.

4. « Land available for cultivation in the Gaza Strip as of 28 july 2025 », FAO.

5. D’après les déclarations du géographe de la Kent State University He Yin, cité dans Fred Pearce, « As war halts, the environmental devastation in Gaza runs deep », Yale Environment 360, février 2025.

6. Recherches internationales nº 129, été 2024.

7. « L’exploitation et l’exportation des minerais dans l’est de la RDC », Note, Ofpra, 14 août 2024.

8. « The ITSCI Laundromat. How a due diligence scheme appears to launder conflict minerals », Global Witness, avril 2022.

9. Tantale (principale source du coltan), tungstène et étain (“tin” en anglais). 

10. « The environmental costs of the war in Sudan », Conflict and Environment Observatory, mai 2025.

11. Respectivement de 64 %, 42 % et 20 % selon le rapport spécial « 2023 Crop and food supply assessment mission (CFSAM) to the Republic of Sudan », Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), mars 2024.

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NUMÉRO 72 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2025:
L'industrie de la destruction : comment les guerres accélèrent la catastrophe écologique
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