
Amplifier les sources fiables d’information
8 janvier 2025. Mark Zuckerberg, le patron de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) annonce qu’il renonce aux partenariats de fact-checking mis en place neuf ans plus tôt avec des médias aux États-Unis, une collaboration qui permettait de détecter et limiter la diffusion de fausses informations. Désormais, les contenus ne seront plus modérés par une équipe dédiée, mais par des « notes communautaires » des internautes, un système déjà mis en place par Elon Musk sur le réseau social X (ex-Twitter, rebaptisé après son rachat par le multimilliardaire Elon Musk en 2022).
Article de notre n°68 « Le grand complot écolo », disponible en kiosque, en librairies et sur notre boutique.

Si la nouvelle concerne pour l’instant les États-Unis, elle laisse craindre le pire en matière de désinformation et de recrudescence du complotisme en ligne. Car les algorithmes des réseaux sociaux et des moteurs de recherche « structurent désormais la diffusion mondiale de l’information, y compris celle des médias traditionnels », rappelait l’ingénieur et chercheur Arthur Grimonpont, auteur d’Algocratie (Actes Sud, 2022), dans une tribune pour le numéro 64 de Socialter.
En effet, presque aucun média d’information, même parmi les plus puissants d’entre eux, ne dépasse les 5 millions d’utilisateurs quotidiens sur Internet, contrairement aux 40 millions de Français qui utilisent Google chaque jour, 30 millions sur Facebook, 20 millions sur Instagram et YouTube et 5 millions sur X, d’après le rapport « L’exode informationnel », publié par la Fondation Jean-Jaurès en décembre 2024.
« Une réponse systémique à la désinformation consisterait à contraindre les plateformes à amplifier les sources fiables d’information, plutôt qu’à modérer ou fact-checker a posteriori les milliards de contenusen circulation » note Arthur Grimonpont. Reporters sans frontières tente d’aller dans ce sens à travers le projet Journalism Trust Initiative, un programme lancé en 2018 permettant aux médias qui le souhaitent d’être audités par des structures indépendantes afin de mesurer leur fiabilité et de bénéficier, en retour, d’une sorte de label de l’information fiable.
Près de 130 critères sont ainsi décortiqués, comme la transparence sur l’identité des propriétaires, les sources de revenus ou encore le respect de la déontologie. Pour le moment, 85 médias ont obtenu le label en France, comme France Télévisions, en 2022, ou encore L’Humanité en 2024. Avec cette norme robuste, l’idée est de proposer un outil clef en main aux plateformes. En avril dernier, Microsoft a ouvert la voie en intégrant ce référentiel dans son moteur de recherche Bing.
Quant aux décideurs, cet outil peut s’avérer précieux pour contraindre les plateformes numériques à privilégier l’information vérifiée par des professionnels par rapport aux autres productions. Une manière de redéfinir une hiérarchie de l’information en ligne, en plaçant le contenu journalistique vérifié au premier plan.

Punir les désinformateurs ?
Le bouleversement climatique, un complot ? C’est ce qu’a asséné, le 8 août 2023, l’économiste Philippe Herlin sur la chaîne CNews lors de l’émission quotidienne « Punchline Été », sans qu’aucune contradiction ne lui soit apportée. Si la chaîne est sanctionnée un an plus tard par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) d’une amende de 20 000 euros pour avoir manqué à ses obligations – une première en France et dans le monde – les propos, eux, ont eu largement le temps de circuler sur les réseaux sociaux.
Une propagation d’autant plus préjudiciable qu’elle émane de médias traditionnels, remarque Eva Morel, cofondatrice de l’association Quota Climat. Créée en 2022 en réaction à la faible place consacrée au traitement de l’urgence écologique dans les médias, l’association a depuis déposé 22 saisines auprès de l’Arcom et du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) pour des cas similaires. « Lorsqu’on étudie les techniques des désinformateurs – qu’ils soient poussés par des raisons économiques, politiques, complotistes ou idéologiques – on s’aperçoit qu’ils utilisent les médias comme surface de légitimation de leur propos. Dès lors que les médias traditionnels les diffusent, leur objectif est atteint. »
Interpellés par la manière dont certains médias sont, surtout de manière passive, « les vecteurs de cette normalisation de la désinformation », l’association Quota Climat et l’Institut Rousseau ont planché, avec dix députés sous la coordination de Stéphane Delautrette (PS), sur une proposition de loi transpartisane qui a été déposée en novembre 2024.
Son objet : renforcer le traitement de l’urgence écologique dans les médias. Pour enrayer la propagation des propos climato-dénialistes, elle propose de renforcer le rôle des instances régulatrices comme l’Arcom, en incluant par exemple dans le contrat des chaînes de radio et de télévision des volumes horaires dédiés aux enjeux écologiques, mais aussi en précisant dans la loi ce qu’est la désinformation climatique. « Il s’agit de bien établir la distinction entre faits et opinions : c’est-à-dire clarifier le fait que nier l'état des connaissances scientifiques et la responsabilité humaine dans la crise écologique consiste en de la désinformation », souligne Eva Morel.
Avec ces nouvelles missions, l’Arcom pourrait par exemple instaurer des quotas spécifiques au traitement de l’écologie pendant les périodes électorales, ou encore rendre obligatoires les « contrats climat » prévus par la loi Climat 2021 pour réguler la publicité. Bientôt la fin des annonces publicitaires de SUV ou des voyages en avion low cost entre deux émissions sur les antennes publiques ?

Quitter les plateformes toxiques
On se lève et on se casse ? En 2023, des chercheurs du CNRS publient une étude1 sur les stratégies mises en œuvre par les militants climatosceptiques et dénialistes sur X. Les conclusions, disponibles en ligne, dressent le portrait-robot des comptes qui nient l’origine anthropique du dérèglement climatique.
Au nombre de 10 000, ils représentent environ 30 % des comptes qui abordent les questions climatiques sur le réseau, dont une proportion notable de bots et de contenus avec une tonalité violente (obscénités, insultes, menaces, etc.) par rapport aux communautés pro-climat. Faut-il abandonner ce réseau, devenu un environnement propice à la désinformation et au harcèlement ? Mobilisé pour cette étude, le mathématicien David Chavalarias, auteur en 2022 de Toxic Data (Flammarion), arrive à la conclusion que « le modèle économique actuel de la Big Tech, fondé sur la marchandisation de l’influence sociale, est incompatible avec la pérennité de nos démocraties ».
X constitue un cas extrême d’instrumentalisation d’un réseau social, selon le chercheur, où « un idéologue d’extrême droite opposé à la démocratie rachète les données de 500 millions d’utilisateurs explicitement dans le but de modeler leur perception et leurs relations sociales ». Dès son rachat, Elon Musk annonce en effet la suppression de la modération sur la plateforme et modifie l’algorithme à son avantage.
Un rapport du Centre de lutte contre la haine en ligne (CCDH), publié en novembre 2024, révèle que ses posts auraient atteint 17,1 milliards de vues depuis son soutien officiel à Donald Trump en juillet, soit « plus de deux fois plus de vues que toutes les “publicités de campagne politique” américaines que X a enregistrées au cours de la même période ».
Pour contrer cette « arène où Elon Musk s’est positionné au centre du jeu », pas d’autre choix pour David Chavalarias que d’aller voir ailleurs. Avec d’autres experts, il est à l’initiative de la campagne « Hello Quitte X » qui met à disposition gratuitement un outil en ligne de portabilité à partir du 20 janvier 2025 pour transférer des millions de données de comptes X vers les plateformes Bluesky ou Mastodon.
« Une issue de secours pour la démocratie », vers des espaces informationnels où coexistent des critères essentiels selon le chercheur : la portabilité des données comme de l’audience et le pluralisme algorithmique – soit la possibilité de paramétrer ses critères de recommandation.

S'armer intellectuellement
« Plus d’un Français sur deux (53 %) confie qu’il a désormais du mal à distinguer ce qui est une vraie de ce qui est une fausse information », d’après le rapport « L’exode informationnel » publié par la Fondation Jean-Jaurès. Face à cette frontière toujours plus floue, l’étude souligne l’importance de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) pour se saisir, dès le plus jeune âge, « tant de ce qu’est le métier d’informer que de l’univers informationnel, que des techniques pour faire face aux sources multiples ».
Tout un programme que les auteurs proposent de rendre obligatoire « dans le cadre des cours d’éducation morale et civique (EMC) » du CE2 à la terminale, avec, pourquoi pas, une épreuve au bac. Pour l’instant, cet enseignement est déployé « avec de fortes disparités d’un territoire à l’autre », d’après le directeur du Clemi2 Serge Barbet, cité dans le rapport de la commission « Les Lumières à l’ère numérique » menée par le sociologue Gérald Bronner et publié en janvier 2022. La commission préconise d’ailleurs d’adjoindre à l’EMI une formation à « la pensée critique ».
Cette démarche se distingue du scepticisme de principe, « souvent revendiqué par la pensée conspirationniste », et doit dépasser les simples exercices de fact-checking, peu efficaces sur « ceux qui sont le plus susceptibles d’être séduits par la mésinformation (contenu d’information faux ou inexact, NDLR) ».
Un exemple d’approche pour questionner ses croyances, moins connue et portée en France par l’association Opinions sur rue : « l’entretien épistémique ». Ce dialogue asymétrique – où un individu mène l’entretien – consiste à questionner son interlocuteur sur les méthodes qui l’ont conduit jusqu’à une croyance en particulier. « L’idée est d’aider la personne en face à établir par elle-même des critères rigoureux pour évaluer ses croyances », explique Jason Bloch, fondateur d’Opinions sur rue. Créée en 2020, cette association permet à tous les publics de se former à cette approche.
Dialoguer sereinement avec son oncle conspi serait-il de nouveau possible ? Oui, en lui posant des questions plutôt qu’en essayant de le convaincre. En somme, si « nous sommes plutôt complaisants avec nos propres croyances », la critique la plus efficace est peut-être celle qui vient de nous.
1. David Chavalarias, Paul Bouchaud, Victor Chomel, Maziyar Panahi, « Les nouveaux fronts du dénialisme et du climato-scepticisme : deux années d’échanges Twitter passées aux macroscopes », 2023.
2. Pour Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information, créé en 1983.
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