Stratégie

Comment financer les luttes écologiques ?

Illustration : Quentin Faucompré

Face à des projets d’aménagement contestés dont les budgets se chiffrent en moyenne en centaines de millions d’euros, les collectifs citoyens luttent avec des moyens dérisoires. Enquête sur l’économie précaire mais inventive des résistances territoriales.

«David contre Goliath ». L’expression revient régulièrement lorsqu’on évoque le rapport de force entre les collectifs citoyens et les promoteurs de grands projets d’aménagement jugés inutiles et imposés. Un déséquilibre qui se mesure d’abord sur le plan financier. « Le budget moyen d’un projet contesté est de 540 millions d’euros, tandis que les collectifs récoltent en moyenne à peine 2 000 euros par année de lutte », explique Gaëtan Renaud, chargé d’enquête à Terres de Luttes, qui a compilé ces données après huit mois de recherches et d’entretiens avec différents collectifs.

Article issu de notre hors-série « De la lutte à la victoire », en kiosque, librairie et sur notre boutique.

Le financement est une préoccupation constante des militants. « Ce qui revient souvent, c’est la difficulté à élargir le cercle des soutiens, à sortir du noyau dur des convaincus, à recruter des bénévoles, notamment chez les jeunes », observe-t-il. Pour financer leurs activités, ces collectifs recourent à un éventail de solutions : adhésions à prix libre, dons, cagnottes en ligne pour les plus classiques. « Les manifestations servent à communiquer et à faire entendre des revendications, mais sont aussi l’occasion de récolter de l’argent, avec des buvettes ou des stands de crêpes », note Gaëtan Renaud.

Les concerts de soutien, soirées-débats et ventes de tee-shirts complètent l’arsenal de la débrouille militante. La collecte numérique permet bien sûr des appels aux dons plus larges via des plateformes de financement participatif, mais aussi la mutualisation du matériel comme des expertises.

Débrouille et ingéniosité

Le coût d’une lutte varie fortement. « Certaines luttes ont coûté à peine 300 euros, comme celles contre le surf park du lac du Bourget ou l’extension du centre commercial Rosny 2 », illustre le militant. D’autres batailles, menées sur le long terme, ont nécessité des montants bien plus conséquents : le collectif opposé au centre commercial Val Tolosa a dépensé 140 000 euros sur dix-sept ans, celui contre le port de plaisance de Brétignolles-sur-Mer, 250 000 euros. Des sommes utiles, puisque ces quatres projets ont été abandonnés. Et ils ne sont pas les seuls : Terres de Luttes a recensé 162 victoires citoyennes depuis 2014.

La facture finale dépend bien sûr d’abord de la durée de la lutte – sept ans en moyenne pour aboutir à une victoire. Ce temps long impose une gestion rigoureuse, avec des besoins récurrents : impression de tracts, déplacements pour des réunions publiques, organisation d’événements, et surtout, éventuels honoraires d’avocats.

« Le budget moyen d’un projet contesté est de 540 millions d’euros, tandis que les collectifs récoltent en moyenne à peine 2 000 euros par an. »

Car la variable la plus déterminante reste le recours à l’arme juridique, utilisée par 80 % des collectifs victorieux. « Rien que pour lancer un recours, il faut compter a minima environ 3 000 euros », précise Gaëtan Renaud. Un montant considérable pour des structures non professionnelles, souvent animées par des bénévoles majoritairement retraités. Des associations spécialisées comme France Nature Environnement apportent parfois leur soutien juridique, mais leur présence n’est pas systématique sur tous les territoires.

Il faut donc savoir être inventif et créatif pour réduire les coûts. « On trouve aujourd’hui en ligne des modèles de recours juridiques à adapter à son propre combat », souligne Gaëtan Renaud. Même logique pour une autre ressource précieuse : le temps. « Il faut agir vite, avant que les travaux ne démarrent. Pour ce faire, il est important de ne pas repartir de zéro et de bénéficier des conseils et des savoirs accumulés dans d’autres collectifs », insiste Joël Domenjoud, responsable de la gestion du Fonds des luttes.

Mutualiser pour mieux résister

Créé il y a deux ans par Terres de Luttes, ce fonds vise à sortir de la logique de mise en concurrence entre terrains de lutte dans la recherche de financements. « On a constaté que chaque collectif lançait sa cagnotte, souvent dans son coin et de façon un peu émotionnelle. De ce fait, il y avait parfois des besoins urgents d’argent à un endroit, mais c’était plutôt un autre qui en recevait », poursuit Joël Domenjoud. À l’inverse, le fonds entend répartir les ressources de manière équitable. « Une commission réunit chaque mois des représentants de différentes coalitions de luttes pour examiner les demandes, précise Joël Domenjoud. Notre connaissance approfondie des luttes nous évite de tomber dans la règle du “premier arrivé, premier servi” ou dans le “celui qui s’exprime le mieux obtient le plus d’argent”. »

En deux ans, le fonds a soutenu une vingtaine de projets, un budget annuel oscillant entre 30 000 et 50 000 euros. Pour bénéficier d’un soutien, ces projets doivent s’inscrire dans une dynamique collective : « Un critère important est que la portée de l’action dépasse le local et soit reliée à d’autres collectifs », précise Joël Domenjoud. Une manière d’encourager les convergences entre terrains de lutte.

Parmi les initiatives financées : le Village de l’eau lors de la mobilisation contre les mégabassines, les rencontres paysannes et rurales à Bure, ou le festival Les Résistantes, rencontres des luttes locales et globales sur le plateau du Larzac. Le fonds a également soutenu des outils de cartographie et d’enquêtes militantes, ainsi que des réseaux de soutien (cantines, aide psychologique, matériel mutualisé).

Financé à 80 % par des fondations comme la Fondation Charles Léopold Mayer ou l’European Climate Foundation, le fonds voit la part du financement citoyen augmenter progressivement. « À l’avenir, nous allons dépendre de plus en plus des appels à dons, car les financements institutionnels baissent », alerte Joël Domenjoud. Face à des demandes croissantes – six pour le seul mois dernier –, ces ressources seront précieuses. Car si le maître-mot des collectifs reste la sobriété contrainte, le nerf de la guerre n’en demeure pas moins indispensable pour transformer l’indignation en victoires concrètes. 

Soutenez Socialter

Socialter est un média indépendant et engagé qui dépend de ses lecteurs pour continuer à informer, analyser, interroger et à se pencher sur les idées nouvelles qui peinent à émerger dans le débat public. Pour nous soutenir et découvrir nos prochaines publications, n'hésitez pas à vous abonner !

S'abonnerFaire un don

Abonnez-vous à partir de 3€/mois

S'abonner
NUMÉRO 72 : OCTOBRE-NOVEMBRE 2025:
L'industrie de la destruction : comment les guerres accélèrent la catastrophe écologique
Lire le sommaire

Les derniers articles