Le promoteur mythomane

« Quand on arrive en ville, on s’fiche du territoire. On raconte des bobards pour vendre nos sales histoires… » Non pas méchant d’une comédie musicale, mais plutôt fauteur de troubles des communes locales, cet entrepreneur de la première heure tout juste débarqué de sa tour d’ivoire est prêt à tout pour faire de bonnes affaires sur le dos des habitants. Pour lui, rien ne se perd, tout se marchande : les terres, l’eau ou les gens. Roi de la désinformation, il ne recule devant aucune combine, ni aucun mensonge, pour mener à bien son projet.
Grâce à son sens de la formule, il invente même son propre langage pour déguiser ses plans. Dans son dictionnaire à lui, on ne dit pas « autoroute » mais « déviation ». On ne dit pas « mégabassine » mais « retenue d’eau ». On ne dit pas non plus « entrepôt Amazon » mais « hangar à camions ». C’est plus facile à entendre, et donc à entreprendre. Rien n’est trop métaphorique pour ce poète des temps modernes qui cherche à dissimuler ses maux sous des mots, à en faire pâlir Verlaine.
Article issu de notre hors-série « De la lutte à la victoire », en kiosque, librairie et sur notre boutique.

Et quand les mots ne suffisent plus, ce sont les chiffres qui deviennent son terrain de tromperie. En un coup de baguette magique, les budgets sont divisés, les nombres d’emplois démultipliés et les impacts minimisés. Lorsqu’il a besoin d’un coup de main dans ses tours de passe-passe, il peut toujours confier son dossier à des bureaux d’études spécialisés qui se chargent d’écoblanchir ses grands projets à coup d’autorisations et d’évaluations rendues sous pression.
Avec lui, tout se paie et tout se tait. Même s’il aime les projets qui brillent, ne comptez pas sur lui pour se montrer. Plus insaisissable qu’un corbeau dans la nuit noire, entrer en contact avec lui sera toujours mission impossible. Installé confortablement dans l’ombre de ses communicants ou des élus qui prêchent pour sa paroisse, la seule chose qui l’intéresse est de compter ses billets, bien assis derrière ses piles de promesses. Après tout, « tout ce qu’il veut, c’est être heureux ». What else?
L'élu mégalo

Homme du pays, fièrement attaché à son terroir, il se bat contre vents et marées pour faire vivre ses rêves tout droit sortis d’une France du siècle dernier. Les pieds dans la révolution industrielle, la tête dans les « Trente Glorieuses », il se croit garant du « progrès » et du « développement », assurant un brillant avenir à son territoire, mais son goût des grands projets sert surtout à laisser une trace surdimensionnée de sa carrière politique.
Son objectif ? Monter des projets aussi gros que son ego ! Ports de plaisance miroitants, stade de football flambant neuf, cité des congrès somptueuse, rien n’est trop beau pour étancher sa soif de reconnaissance. Qu’importe le projet pourvu que sa façade puisse arborer la plaque inaugurale sur laquelle sera gravé son nom en lettres capitales. Et tant pis si sa folie des grandeurs plombe les dépenses publiques, anéantit l’équilibre des écosystèmes locaux, ronge les terres agricoles ou pollue les rares sources d’eau.
Visage public des promoteurs, il reprend tous leurs arguments avec ferveur. Si l’opinion doute, il peut toujours compter sur la presse locale dont certains actionnaires tirent les ficelles… D’ailleurs, l’un d’eux est un ami, et la rédaction lui doit bien, puisque la municipalité lui a octroyé des subventions. Se sentant tout-puissant, il n’hésite pas à faire cavalier seul, parfois même dans le dos de son propre camp. La résistance n’a qu’à bien se tenir. Rien ne doit se mettre en travers de son chemin !
Pas question de se laisser impressionner par la morale de ces bobos bien-pensants ou les actions de ces écoterroristes et autres zadistes au RSA. Il impose son règne d’une main de fer où tous les coups sont permis : mensonges aux conseils municipaux et aux réunions publiques, censure et manipulation des médias locaux, campagnes de diffamation et coups de pression pour dissuader tous ceux qui tenteraient de rejoindre le front de contestation. Allez, tous en chœur : Ok boomer !
Le préfet complaisant

Parce qu’il faut bien tamponner ces projets d’un sceau de légalité, place à celui qui doit délivrer le Graal que tout le monde attend : l’autorisation environnementale unique. Précieux sésame qui acte la possibilité de mise en chantier du grand projet dans le respect des lois de l’environnement… ou presque ! En bon exécutant, il ne dévie jamais de sa procédure. Tant que le protocole administratif est respecté, le projet est approuvé. Signant les autorisations à tour de bras, il remplit servilement sa fonction d’État et légitime les ambitions locales les plus débridées.
Malheur à lui s’il lui vient l’idée saugrenue de contrevenir à la marche du projet ou de le désavouer publiquement. Il se fera gentiment remercier, et remplacer par plus docile et moins scrupuleux que lui. S’agirait pas d’être du bon côté de l’histoire, mais du pouvoir.
Soldat du gouvernement, plus que police de l’environnement, notre grande casquette ne se préoccupe guère des dommages sur le territoire et des craintes de ses habitants. Alors s’il flaire la moindre contestation, il use de son autorité pour évacuer tout grain de sable qui viendrait enrayer la machine. En ignorant sciemment l’avis défavorable d’une enquête publique ou en réprimant des opposants un peu trop véhéments. Derrière sa posture de haut fonctionnaire, il n’en est pas moins un toutou en chef.
Attention ! Plus l’affaire est politique et médiatique, plus il sort les dents. Il ne s’éloigne jamais de son pot de yaourt à ficelle, directement relié à son ministre qui peut le siffler à chaque instant. S’il doit annoncer les mauvaises nouvelles, ce ne sera pas de sa faute, mais celle des décisions venues de bien plus haut. Qu’importe les conséquences pour le territoire, il en sera bien vite parti. Depuis sa maison de fonction, il réfléchit déjà à sa prochaine nomination. Formez vos bataillons, mais surtout… courage, fuyons.
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