Éditorial

Édito. L'A69, une infrastructure zombie

Illustration : Clémence Mira

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Play. L’œil du drone survole une large balafre terreuse qui court sur des kilomètres en ligne droite à travers champs, puis s’attarde longuement sur les pleins et les déliés d’échangeurs routiers fraîchement bitumés. Le fond musical de la vidéo est entraînant.

Sur sa chaîne YouTube, le concessionnaire Atosca exalte le chantier en cours de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse, qui doit lui rapporter à terme 16 euros pour chaque aller-retour. Pause. Les destructions environnementales liées aux travaux sont déclarées illégales par la justice administrative le 27 février 2025, faute de « raison impérative d’intérêt public majeur ». La conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages doit donc primer aux yeux des juges. Les moteurs des engins se taisent et les opposants retiennent leur souffle, conscients que leur victoire est fragile.

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L’État et le concessionnaire font appel, tandis que la majorité des sénateurs, dont treize socialistes1, et les éditorialistes de CNews s’en mêlent. Play. À la suite d’un tête-à-queue judiciaire, le 28 mai, les travaux sont autorisés à reprendre alors même que le jugement en appel sur le fond n’a pas eu lieu. Le constructeur bat le rappel de ses troupes. Les centrales d’enrobé vont tourner à plein régime. Le balai des semi-remorques doit redémarrer. Pour être sûrs que la justice ne les arrête pas de nouveau, les partisans de l’autoroute travaillent dans le même temps à faire adopter au Parlement une loi inédite validant l’existence d’une « raison impérative d’intérêt public majeur », pourtant jugée introuvable. Et l’État se déclare, par la voix du ministre des transports Philippe Tabarot, prêt à protéger militairement son entêtement.

Avance rapide. Foncer à contresens de l’histoire. L’A69 est, plus que jamais, le symbole d’un système qui ne veut pas dévier. Une infrastructure zombie, pour reprendre les mots du physicien José Halloy qui parle de « technologie zombie » pour qualifier « des technologies mortes à l’aune de la durabilité mais envahissant frénétiquement encore le monde au détriment des humain·es et de la biosphère ». La France compte déjà 12 000 kilomètres d’autoroutes.

Sur les 5 millions d’hectares artificialisés sur notre sol, 1 million sont des infrastructures routières. Le secteur des transports représente un tiers des émissions de gaz à effet de serre en France, le seul à ne pas connaître de baisse notable. Dans son rapport de 2024, le Haut Conseil pour le climat alerte : « La cohérence d’ensemble de l’action publique n’est pas assurée. Plusieurs projets routiers vont entraîner un accroissement du trafic automobile alors même qu’un des objectifs affichés est de réduire l’utilisation des véhicules particuliers et que la France possède l’un des réseaux routiers le plus dense d’Europe. »

Pourtant l’A69 n’est pas absurde. Elle procède d’une logique économique, dominante depuis les années 1980 : celle du libre-échange, qui réclame que les marchandises filent d’un bout à l’autre du globe. Cette logique a fait la fortune du groupe tarnais de dermo-cosmétique Pierre Fabre, dont le siège est à Castres, qui réalise à l’étranger 70 % de son chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros. La multinationale pèse de tout son poids depuis les années 1990 en faveur de l’autoroute.

Et pour certains élus, comme le député macroniste Jean Terlier, véritable pasionaria de l’A69, dont l’épouse travaille pour le groupe, il semble que ce qui est bon pour Pierre Fabre soit bon pour le Tarn, et par extension pour la France. Il est donc d’intérêt public majeur que les tubes de crème du groupe gagnent au plus vite les ports d’où ils seront envoyés vers les peaux sèches du monde entier. Pour cela, les camions ne doivent pas dévier. L’A69 n’est pas seulement une lubie d’élus locaux englués dans une vision obsolète de l’aménagement. Elle est l’une des infrastructures du capitalisme globalisé auquel, dans le Tarn, comme ailleurs, il est vital de barrer la route. 


1. Le Sénat a adopté le 15 mai en première lecture une loi de validation de la liaison autoroutière Castres-Toulouse.

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